Traversée d'une "Cosmologie"


Commencée à l'adolescence dans la plus complète obscurité, poursuivie à partir de 1984 dans une semi-clarté (quelques expositions et publications rares ici et là), l'œuvre d'Onuma Nemon prolifère peu à peu par rhizomes de textes poétiques, éclats de voix, fragments plastiques... À l'instar de Rimbaud, Onuma Nemon est un poète voleur de feu qui se voit «chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue». Sa Cosmologie titanesque est autant une expérience de la langue que du corps, une géographie du monde et de la littérature passée (d'Homère à la Beat Generation) secouée de séismes, d'intensités, de saillies, d'illuminations, de mouvements centrifuges (à partir d'un socle autobiographique) de déterritorialisation. Un grand artiste, «à la manière de ceux qui savent extraire de nouvelles formes, et créer de nouvelles manières de sentir et de penser, tout un nouveau langage» (G. Deleuze).

L'exposition de l'écrivain-artiste à l'URDLA, mêlant textes et œuvres (dessins, photographies, gravures...), propose plusieurs portes d'entrée possibles, différentes cartes imaginaires pour arpenter en zigzag ce monde qui se refuse à la clôture et à toute délimitation, celle notamment de la «fonction auteur» qui ramène tout à une subjectivité donnée.

Devenu personne, effaçant sa propre individualité administrative et idiosyncrasie, Onuma Nemon permet à la fiction de s'ouvrir à de nouvelles significations, de jaillir librement et dangereusement. À l'URDLA, on compte quelques «Vulves en liberté» et trois Onan laissant couler leur encre à leur entrejambe, une fragile ligne de crête gravée, de poignantes cartes d'Îles ou de déserts, une «Nature morte désespérée» en quelques traits rapides, des signes photographiés dans la neige, une main d'ange tendue vers l'inconnu, et de mystérieuses Méliades déformant et creusant une grande plaque de cuivre... Ces nymphes de la mythologie grecque engendrées par Gaïa (la terre) fécondée par les gouttes de sang d'Ouranos (le ciel) lors de sa mutilation par Cronos. La littérature ou l'art sont comme une flèche que chaque grand écrivain ou créateur lance à son tour dans une direction, un style, un monde.
JED


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«L'innocence, l'extase, la poésie»