Dans le presque, le parfait

Artiste sobre, précis et talentueux, le photographe lyonnais Julien Guinand publie une très belle monographie et expose des images récentes au Bleu du Ciel. Jean-Emmanuel Denave


«Je n'éprouve pas d'intérêt à accumuler les prises de vue et je crois que je n'ai pas de fascination particulière pour l'image en générale... Je procède par soustraction et il m'arrive de ne garder, parfois à mon grand désespoir, à peine plus de deux ou trois photographies par an», déclare Julien Guinand dans sa belle monographie publiée aux éditions Deux cent cinq. Au sein même de chacune de ses images, il y a aussi soustraction, un «moins 1» qui ouvre discrètement une brèche, déchire la totalité, fêle l'insupportable fascination... Des lévriers effilés pris de profil sur un champ de course ont des attitudes à la fois fières et burlesques, de grandes nappes blanches accrochées à un étendage dans une cour pourraient constituer une œuvre d'art minimaliste parfaite n'était ce sac plastique boursouflé au pied d'un buisson en arrière plan... Il y a toujours un accroc prosaïque, un «punctum», un accident qui empêche l'image de s'enrouler sur elle-même, dans le narcissisme forclos de sa propre beauté miroitante...

Splash

Atteindre ainsi à une quasi perfection formelle et zen (philosophie très influente sur le photographe) tout en laissant soudain et comme par inadvertance le «réel» creuser son trou rigolard ou anecdotique a toujours quelque chose de touchant dans le travail de Julien Guinand. Ce peut être encore un chiffon jaune en bas d'un tableau, la sortie d'une bouche d'égout à côté d'une jeune femme triste... L'accident peut être aussi très littéralement l'une de ces prises de vue de «barrières de crash test» pour expérimenter les collisions d'automobiles. La concentration achoppe, la méditation échoue et sont en cela poignantes, humaines, intrigantes. Parmi les photographies réalisées au cours d'une résidence à Moly-Sabata et exposées au Bleu du Ciel (aux côtés de celles superbes d'Aurélie Pétrel et d'autres travaux très réussis signés Francis Morandini et Louis Volkmann), Julien Guinand n'a pas pu s'empêcher, là encore, de photographier de paisibles troncs d'arbres ou une jument broutant sur fonds d'usines fumantes et écumantes au loin. On verra aussi dans l'exposition une drôle d'image d'homme tirant à la carabine dans une outre pleine d'eau qui explose en un grand «splash». Clin d'œil peut-être aux peintures de David Hockney qui, lui aussi, souillait l'immobilité et la plasticité parfaite des piscines californiennes d'un grand rire et jet de foutre.

Julien Guinand, «Images en résidence»
Au Bleu du Ciel Burdeau,  jusqu'au samedi 17 mars
Publication : «Forces», texte Michel Petipoivert, éditions Deux cent cinq


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