Ceci n'est pas une Autriche


Le grand entretien réservé à Régis Jauffret, titré «Ceci n'est pas un fait divers» est sans doute la mise en abyme la plus parlante du thème de la Fête du Livre de Bron : «Ceci n'est pas une histoire vraie». L'auteur de Microfictions s'est dernièrement attaqué à la matière croustillante et amère du fait divers. Après Sévère, Jauffret franchit un pas de plus dans l'étanchement de sa soif du mal le plus pur et du glauque absolu : avec Claustria, Jauffret décortique l'affaire Fritzl – un détraqué autrichien qui, non content d'avoir séquestré sa fille dans une cave pendant 24 ans, lui a fait une ribambelle d'enfants. À travers ce livre-monstre, c'est la manière dont Jauffret s'approprie ce fait-divers – il en a le droit, d'autres l'ont fait avant lui, et l'écrivain a tous les droits, ce qui ne veut pas dire qu'il en fait bon usage. Car la démarche invoque l'éternel procès en légitimité résumé en une phrase : «d'où parles-tu, camarade ?». Jauffret enquête, se met en scène – et, oserait-on dire, cabotine au passage, au point de risquer de se décrédibiliser. Où commence l'enquête, où finit la mise en scène et inversement ? Car en plus, Jauffret imagine, fictionnalise ; brouille les temporalités ; la frontière entre ce qui est avéré et fantasmé. Pire, il semble découvrir avant tout le monde la clé de l'inconscient collectif autrichien : ce proverbial refoulé de la période nazie que tant d'autres artistes, autrichiens et donc bien plus légitimes (Actionnistes viennois, Michael Haneke, Thomas Bernhard, Elfriede Jelinek) ont exploré avant lui. Pour toutes ces raisons, cette rencontre n'en sera sans doute paradoxalement que plus passionnante et explosive.
Stéphane Duchêne


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