Second life

La Biennale Musiques en scène a 20 ans. James Giroudon, le directeur visionnaire de GRAME, passe le relais. Dans un «Etat second» son successeur, Damien Pousset, a fabriqué un programme où récupération, transformation et manipulation du préexistant sont joyeusement mis à l'honneur. Pascale Clavel


James Giroudon a fait de la Biennale Musiques en scène le rendez-vous de la musique contemporaine ; un endroit incontournable pour entendre le pouls de cette création innovante, vivante, mouvante et riche de propositions à couper le souffle. Depuis 1992, ce sont des concerts, des installations, des spectacles qui viennent redire que l'acte créateur est en bonne santé, que l'aventure reste exigeante mais conviviale et que le public, de en plus en plus curieux, répond à l'invitation et vient se cogner à son époque avec plaisir.

2.0

En 2012, James Giroudon passe le relais et la Biennale Musiques en scène voit arriver à sa tête Damien Pousset, un homme qui aime le jazz… et l'Ars Nova. Plus grand écart, on ne peut pas trouver et en même temps, à bien écouter, on perçoit les mêmes frottements, les mêmes harmonies distordues mais pas tant que ça. La musique contemporaine comme l'Ars Nova : des ambiances musicales qui font peur a priori et qui a posteriori, si l'on se laisse aller, deviennent limpides, merveilleuses et pleines d'un discours qu'on aimerait entendre plus souvent. Damien Pousset a AINSI tricoté un parcours à son image, cohérent et multi faces. On connaissait les Biennales d'avant lui, pointues et ouvertes sur le monde contemporain, nous entrons dans une nouvelle ère où le joyeux côtoie le beau, où les musiques s'inspirent, où les arts s'emmêlent à l'infini. Damien Pousset pousse l'idée jusqu'au bout, va chercher ces jeunes créateurs qui récupèrent, qui travaillent à partir d'œuvres préexistantes, il ouvre et ose la question : «le marché aux puces serait-il devenu, en musique comme ailleurs, le référent omniprésent des pratiques artistiques contemporaines ?»

Suivez le Guide

Michael Jarrell, compositeur invité de cette Biennale est un homme heureux. Premier compositeur en résidence à l'Orchestre national de Lyon de 1991 à 1993, il a dit oui tout de suite à cette alléchante proposition. Il sera le pilier, la tour de contrôle de cette nouvelle édition. Qui d'autre mieux que lui sait composer une œuvre pour orchestre, en puiser ensuite tout le jus et en fabriquer un concerto pour clarinette, pour en puiser à nouveau tout le jus et en faire une troisième œuvre à part entière. Jarrell est le maître de la récupération de lui-même. Il explore comme une seule obsession les univers où rien ne paraît bouger mais où tout se meut lentement dans un petit fracas bienvenu. Lui qui n'a cessé de transformer, de triturer son discours musical pour en magnifier certains passages est à même de guider cette jeune génération de compositeurs à la création intuitive, mystérieuse et d'une extrême sensibilité. À réécouter les œuvres de Michael Jarrell, on est frappé par leur accessibilité, par cette écriture limpide et profonde. Quant aux titres de chaque opus, c'est une invitation à la réflexion et à la rêverie tout à la fois : Le ciel, tout à l'heure encore si limpide, soudain se trouble horriblement… pour orchestre ou encore …car le pensé et l'être sont une même chose pour six voix solistes ou encore …prisme/incidences… pour violon et orchestre. Quant à la poésie des points de suspension, elle nous invite au mystère, aux questionnements sans fin. Michael Jarrell se définit comme un artisan, les mains dans le cambouis et, à écouter sa musique, on peut comprendre sa revendication. Il fait partie de ces compositeurs humbles, à l'écriture souple voire élégante, aux obsessions savamment travaillées, mais qui paraissent accessibles et d'une belle simplicité. Dès le concert d'ouverture à l'Auditorium, le public pourra découvrir son nouveau Concerto pour violoncelle puis viendra Cassadre, son monodrame tout en retenue, où la voix hypnotique de Fanny Ardant s'emmêle aux timbres chatoyants d'un petit orchestre. Et puis, au fil de ces trois semaines de Biennale, des œuvres plus ou moins anciennes de Michael Jarrell à réentendre avec appétit.


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