Musique de chambre avec vue

Dans le monde confidentiel de la musique de chambre, le Quatuor Debussy fait office d'ovni bienvenu. Il propose à l'infini des rencontres avec des univers artistiques étonnants : choc esthétique assuré. Depuis plus de vingt ans, les quatre instrumentistes font le bonheur des mélomanes avides de nouveautés fines et réjouissantes. Rencontre avec Christophe Collette, la force tranquille du Quatuor. Pascale Clavel


Que dire de votre identité ? De cette pâte sonore qui vous rend si reconnaissable ?
Christophe Collette : On nous a toujours dit, depuis les premières notes que nous avons jouées, que nous avions une sorte de "palette française". Certains quatuors mettent en avant une virtuosité, une puissance sonore. Notre définition du son se trouve plus dans la finesse, dans la transparence, dans l'équilibre entre les voix. Ce qui fait notre force, c'est que nous allons souvent nous confronter aux autres arts. La saison prochaine nous allons nous frotter au monde de la marionnette : nous préparons un très beau spectacle avec la Compagnie Émilie Valantin autours d'un conte de Perrault et des quatuors de Haydn. Nous allons également nous confronter au jazz, au tango, au slam, au rap. Nous avons toujours envie de décloisonner.

Le changement de violoncelliste, voilà une saison, a t-il fragilisé l'identité du Quatuor ?
Ce changement était volontaire et s'est fait dans la douceur puisque nous avons répété quatre mois avec les deux violoncellistes. Contrairement à ce qu'on peut penser, un changement, s'il est bien préparé, reste un enrichissement pour le groupe. On fait entrer quelqu'un qui a autant de qualités que celui qui part. Il intègre ce qui préexiste, mais il va apporter son éclairage nouveau, son expérience, son esprit critique. Le pari est vraiment gagné avec Fabrice Bihan, parce qu'au delà d'être un excellent violoncelliste, il a un parcours proche du notre : il a cette curiosité d'esprit de mélanger son violoncelle avec la danse, la magie, le théâtre…

Quid de votre nouvelle collaboration avec le musée des Beaux Arts de Lyon ?
Nous avons amorcé cette collaboration le 2 mars puis, à partir de la saison prochaine, nous associons la classe de Quatuor à cordes que nous venons de créer au Conservatoire de Lyon. Cette classe sera limitée à deux quatuors pour le moment mais elle a pour objectif de s'agrandir. Nous enseignerons, mais nous aiderons aussi les jeunes à rencontrer les autres arts. La collaboration avec le musée des Beaux Arts rentre tout à fait dans cet esprit. Cela permettra à chaque quatuor de se poser des questions sur l'histoire de l'art, sur la résonnance musique/peinture.

De Boxe Boxe au CD Guillaume Lekeu en passant par votre Requiem de Mozart, le succès a toujours été là, le public vous suit. Comment expliquer un tel engouement ?
Le succès de Boxe Boxe, c'est juste une rencontre réussie, une confiance mutuelle entre le chorégraphe Mourad Merzouki et le Quatuor Debussy pour bâtir un objet où chacun est au service de l'autre, où chacun est là pour magnifier les qualités de l'autre. Pour le CD Guillaume Lekeu, c'est un succès parce sa musique est tellement émouvante, tellement belle, tellement poignante, tellement efficace qu'elle ne pouvait que marcher. Quant à notre transcription du Requiem de Mozart, c'est un des CDs classiques les plus vendus de ces dernières années, mais extrêmement critiqué dans le milieu classique intégriste !

Dans toutes vos missions, vous mettez une réelle énergie à transmettre.
Nous sommes arrivés au moment de notre carrière où l'on se retourne sur notre passé. On commence malheureusement à voir nos grands maîtres disparaître, les Amadeus, les Berg, les Juilliard. C'est à nous maintenant d'être le maillon dans cette chaîne. Nous sommes dans une ligne artistique claire maintenant et qui semble séduire. Enseigner, c'est aussi apprendre à gérer une vie d'artiste. La classe de Quatuor que nous ouvrons va dans ce sens là, nous voulons donner ce que nous avons appris de tous ces croisements. On rend ce que nos maîtres nous ont donné, on ne fait que s'enrichir, on amène la musique là où elle risque de disparaître.


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