Possessions

Pour son troisième film, Éric Guirado s'inspire de l'affaire Flactif pour explorer, à travers une mise en scène passant sans cesse du chaud au froid et un quatuor d'acteurs excellents, le fossé grandissant entre les possédants et les dépossédés. Christophe Chabert


L'affaire Flactif (ou affaire du Grand Bornand) avait marqué la France : un couple de prolos du nord avait assassiné puis tenté de faire disparaître les corps d'une famille, dont les époux étaient aussi leurs propriétaires. Qu'on le prenne par tous les bouts, le fait-divers disait avec une grande brutalité l'écart béant qui se creusait entre ceux qui ont tout (réussite, argent, maison) et ceux qui doivent leur donner le peu qu'ils ont. Éric Guirado, en transposant librement cette histoire traumatisante, fait lui aussi un grand écart avec l'optimisme réconciliateur du Fils de l'épicier : Possessions est une œuvre au noir, jamais rassurante, et c'est cette obstination à plonger au fond de l'horreur qui en fait le prix.

L'or blanc vire au rouge

Le couple formé par Jérémie Rénier (gras et lourd : parfait !) et Julie Depardieu (inquiétante de ressentiment contenu) a tout du cliché : lui adepte du tuning, elle braquée sur des images de bonheur superficiel, comme échappés des comédies beauf dont le cinéma français nous abreuve à longueur d'années. Guirado a la bonne idée de leur opposer, dans le rôle du couple de nantis, deux acteurs qui justement ont un passif dans ce type de productions : Alexandra Lamy et Lucien Jean-Baptiste. Il touche ainsi du doigt un prototype social peu montré à l'écran : le parvenu de l'or blanc, celui qui a réussi à surfer sur le tourisme pour s'enrichir, un peu magouilleur mais pas méprisant, un investisseur jouisseur plutôt qu'un spéculateur froid. Le malentendu part de là : les différences entre les deux couples ne sont pas si tranchées que cela, et c'est bien le matérialisme dans lequel ils évoluent qui creuse le fossé. C'est la mise en scène qui le souligne, comme dans cette scène où le son et le montage tentent de saisir l'odeur délicate d'un parfum de luxe déclenchant la pulsion de convoitise. Si le film n'atteint pas toujours ce genre de hauteurs, il démontre une rigueur remarquable pour mettre en place l'engrenage qui conduit au drame. Surtout, dans le dernier acte, Guirado refuse le contrechamp façon Tavernier sur le retour de l'ordre. Il préfère se concentrer sur l'isolement moral de son protagoniste, laissant le spectateur sur un ultime coup de froid dans le dos, entre appel au secours et appel au sursaut.


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Elena