Cent fois oui


«Ne fais pas l'enfant !». Cette injonction que l'on entend dans Cent culottes et sans papiers pourrait servir de sous-titre à l'excellent texte de Sylvain Levey, auteur souvent (et justement) primé. C'est que l'enfance n'est pas une sinécure, surtout lorsqu'on a la malchance de naître durant les heures sombres d'un vingtième siècle peu épargné par la folie des hommes. En à peine plus d'une heure, pas moins de vingt-neuf histoires se déroulent sous les yeux des spectateurs (dès 8 ans) qui voient défiler, du point de vue d'un écolier, l'histoire de France. Elle est inscrite en filigrane du quotidien de ce petit garçon qui apprend la construction grammaticale de la phrase (sur le modèle sujet-verbe-complément) via cet exemple cinglant de sa maîtresse : «ton père est collabo».

Ainsi va la vie au début des années 40 dans une petite école communale. Sur scène, trois comédiens adultes jouent à la fois des parents, des enfants, des instits', des militaires… Les rôles s'intervertissent à la vitesse de l'enchaînement des histoires ; cette folle allure donne du souffle à la pièce. Anne Courel, metteur en scène à la tête de la compagnie Ariadne, utilise avec dextérité des artifices tels que la projection d'images d'archives de l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) des premiers congés payés ou de vidéos super 8 sur un petit mouchoir blanc que tient du bout des doigts un acteur.

Si le spectacle s'épuise un peu en bout de course à force de vouloir évoquer un maximum de sujets très actuels (la malbouffe, l'obésité, le jeu du foulard), il n'en demeure pas moins marquant car il est émaillé de nombreuses trouvailles comme cette scène douce-amère à l'image de la pièce : l'enfant porte son étoile jaune à l'oreille comme il le ferait avec un coquillage. Il n'entend pas le ressac de la mer, mais le bruit des bottes.
Nadja Pobel


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