Journées de la femme

Christian Schiaretti met en scène deux pièces d'August Strindberg au Théâtre national populaire, «Mademoiselle Julie» et «Créanciers». Et fait coup double. Dorotée Aznar


Mademoiselle Julie et Créanciers, deux textes écrits par Strindberg en 1888. Deux pièces que le metteur en scène Christian Schiaretti choisit de présenter en diptyque, dans un décor unique – sol vert, fils rouge sang tendus aux extrémités du plateau – où seuls quelques meubles différencient la cuisine où se joue le drame de Mademoiselle Julie du salon où se règlent les comptes des Créanciers. Un plateau sobre et glaçant où vont se dérouler deux meurtres parfaits, sur fond de guerre des sexes et de lutte des classes. Dans les deux pièces, les nouvelles traductions françaises de Terje Sinding sont confiées à un trio d'acteurs dont on ne manquera pas de saluer la justesse : Clara Simpson (au service d'une cuisinière drapée dans sa dignité dans Mademoiselle Julie et d'une couguar légère dans Créanciers), Clémentine Verdier (superbe Mademoiselle Julie) et Wladimir Yordanoff (le bras armé dans les deux pièces, au jeu plein de nuances).

L'homme qui n'aimait pas les femmes

Dans les deux pièces, Stindberg nous montre des amours stériles. Dans Créanciers, l'enfant de Tekla et de son premier mari est mort, celui qu'elle a eu avec son second époux a été «placé» pour ne pas prendre la seule place libre, celle de son père, «l'amant-enfant» que Tekla appelle son «petit frère». Quant à Mademoiselle Julie, il est rappelé dans la pièce : «Elle a ses règles en ce moment ; ça la rend toujours un peu bizarre». Le désir de ces femmes apparaît comme suspect. Des femmes prédatrices, qui prennent l'initiative sexuelle, et qui paient cher leur liberté : deuil ou suicide ; pas de compassion pour la «putain» qu'on nous présente comme un être pathétique, coquette vieillissante ou jeune fille perdue. Gare à celui qui tente de sortir la tête de sa petite case et gare aux faibles ; au Cluedo imaginé par Strindberg, l'assassin est celui qui mène la danse, pas celui qui tient le couteau. Dans les deux pièces, ce rôle revient à l'extraordinaire Wladimir Yordanoff, époustouflant dans le rôle de Jean (habituellement tenu par de jeunes acteurs) et pas moins méritant dans Créanciers, en habile manipulateur. Introduisant le rire au milieu de l'horreur, Yordanoff est le joyau du diptyque.


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