Bravo l'À Vaulx

C'est avec un programme de choix qu'À Vaulx Jazz fête un quart de siècle d'activité. Plus que le jazz d'ailleurs, c'est un art consommé du métissage et de l'ouverture musicale que le festival vaudois peut se targuer d'avoir célébré depuis 25 ans en un lieu particulièrement symbolique de notre territoire. Stéphane Duchêne


Il y a 25 ans, Vaulx-en-Velin était encore surtout connu pour avoir été le théâtre des premières émeutes urbaines en France. Une image qui lui a longtemps collé à la peau, si bien qu'encore aujourd'hui, le nom de cette commune résonne bizarrement et injustement dans l'inconscient collectif.

Et puis il y a eu À Vaulx Jazz, et c'est le jazz qui s'est mis à résonner depuis Vaulx-en-Velin, jusqu'à faire du festival, non seulement l'un des plus reconnus de l'Hexagone mais aussi un véritable outil de maillage social du territoire et de ses habitants, tout entier impliqués dans un événement qui dépasse le simple cadre de la musique.

Quand les télévisions américaines, qui aiment tant jouer la «Géo pour les nuls» en cas d'échauffourées banlieusards français (remember 2005), placeraient probablement Vaulx-en-Velin sur une carte entre Cannes (Côtes-d'Armor) et Monaco (Loir-et-Cher), les passionnés d'À Vaulx-Jazz ont toujours su, eux, localiser les yeux fermés les racines de cette musique qui les anime. Et par là, toutes les musiques d'Amérique et même du monde entier. Car au fil des années, si le jazz reste le ciment et l'identité de ce festival qui fête son quart de siècle, il y a longtemps que les frontières en ont été dynamitées à coups d'embardées passionnantes et d'empiétements assumés.


Really The Blues

On ne s'étonnera guère, cette année, d'une programmation anniversaire particulièrement riche et à l'avenant de cette idée tenace d'ouverture. S'il était un artiste censé l'incarner, on choisirait en toute subjectivité Marc Ribot. Ce fameux guitariste new-yorkais a ainsi, à travers sa guitare, tâté de tous les genres, se taillant une réputation de caméléon et de virtuose au sein de toutes les chapelles musicales (musique expérimentale, blues, rock, jazz, punk). Au point que tous les musiciens avec lesquels il a joué (John Lurie, Chuck Berry, Bashung, Tricky, Norah Jones, Murat, pour donner une idée de l'étendue de sa palette et de ses contempteurs) ne rentreraient pas dans une cathédrale. Pas plus d'ailleurs que sa discographie personnelle, moins connue. Ici, il officiera aux commandes d'un magnifique hommage à Milton Mezz Mezzrow et à son antique livre Really The Bluesl'histoire de la découverte de la musique afro-américaine par un jeune blanc d'origine juivedevenue œuvre archéologique d'un genre dont Ribot explorera les entrailles profondes.


Klezmer-funk-hip-hop

On pourrait sans problème également citer Abraham Inc. Derrière ce nom de multinationale de l'Ancien Testament se cache un très improbable trio musical constitué autour David Krakauer, pilier du célèbre Kronos Quartet, qui s'attache depuis belle lurette à faire revivre la musique klezmer, ce trésor musical hérité des juifs d'Europe Centrale, aux croisements d'autres genres musicaux. Ce qui est le projet justement d'Abraham Inc. En font partie également le rappeur canadien SoCalled, dépositaire du concept de klezmer hip-hop et... Fred Wesley ancien tromboniste de James Brown et ex-membre de Parliament et Funkadelic. Entre expérimentations à six mains et swing irrésistible – et comme une résonnance involontaire avec Mezzrow et ses origines – il s'agit ici de montrer quelle incroyable forme de vie naît du mélange klezmer-funk-hip-hop.


Grnd Zero et piano à pouces

Parmi les figures incontournables du jazz français, on citera en priorité le Lyonnais Louis Sclavis (et son trio Atlas) qui a le bon goût de réserver ses apparitions locales à À Vaulx-Jazz. Ou une autre revenante la contre-bassiste Joëlle Léandre que l'on ne fera pas l'affront de présenter aux spécialistes de la musique contemporaine (pour les autres, direction Vaulx). Enfin, on ne peut guère évoquer À
Vaulx Jazz et ses élans philantropiques en laissant de côté la carte blanche «musiques actuelles» offerte à l'association Grnd Zero – manière de manifester un soutien sans faille à ce collectif en panne de solution d'hébergement depuis la menace d'expulsion qui pend au-dessus de sa tête. Reconnaissant, Grnd Zero a tapé dans l'émergent, le militant et l'éclectique avec les Lyonnais de Direction Survet, l'inquiétante étrangeté du guitariste japonais Keiji Haino et surtout les Congolais de Konono N°1 (ex-Orchestre Folklorique Tout Puissant Konono N°1). Incroyable orchestre de musique traditionnelle (enrôlé par Björk sur l'album Volta), Konono et son leader septuagénaire s'inspirent de la musique rituelle zombo et de la pratique du piano à pouce (le likembé) pour mieux la muer en une transe électrifiée à la va-comme-je-te-pousse avec du matériel de récupération. C'est dire si en 25 ans, À Vaulx Jazz a fait du chemin et n'a pas fini d'en parcourir.


 

À Vaulx Jazz
Du jeudi 15 au samedi 24 mars


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