Fort Mustang


Mustang est un paradoxe spatio-temporel. Le trio réussit à faire du rock en français là où beaucoup échouent à en faire en anglais, à pratiquer une variété française qui ne porte pas son nom par défaut, à surfer sur une vague musicale clermontoise avec laquelle ils ne se sentent pas la moindre affinité.

Leur premier album, A71, était, plus qu'un hommage à la route 66 : une citation directe du Autobahn de Kraftwerk. Mustang y donnait à Clermont des airs de Memphis 2.0 et gratifiait le mythique label Sun qui lança Elvis, Cash et Orbison, de fusions nucléaires. Si bien qu'on ne peut réduire Mustang à rien. «Tout est tabou, tabou, partout», regrettent-ils, sur le titre qui donne son nom à l'album. «Tu mens» répondra-t-on comme sur le beau duo masculin-féminin en fin d'album.

Tout n'est pas tabou partout, puisque Mustang ne l'est pas, n'en a pas, de tabou. Le premier titre d'A71, ne vociférait-t-il pas, en plein «travailler plus pour gagner plus», le cynisme porté en sautoir : «Je m'emmerde (…) Il est minuit, nouvelle année / Nouvelle année à rien branler». Toujours gominé comme le King, Jean Felzine, réincarnation auvergnate de la petite frappe Vince Taylor, trimbale la fausse nonchalance du type qu'il ne faut pas trop chauffer, oscille entre la préciosité 60's d'un Polnareff, le swing d'Elvis et le timbre vibrant d'un Dominique A bercé trop près du Velvet. Dans son sillage, Mustang ose tout et c'est à ça qu'on le reconnaît. Roulant sur la bande d'arrêt d'urgence, quand ce n'est pas à contresens, empruntant des chemins esthétiques où d'autres n'auraient jamais osé s'aventurer.

Chez qui d'autre croiseriez-vous Aphex Twin et Gene Vincent, une rythmique à la Talking Heads version cheapos et une guitare slide (le magistral La Princesse au petit pois) ? Ailleurs, des claviers cosmiques et une mandoline qui, comme l'instrument de cuisine du même nom, vous laisse en copeau (Restons Amants) ? À force d'allers et retours entre passé et futur, le groupe sans doute un peu désorienté, questionne en fin d'album : «Où devrais-je aller ?». En réalité, ce n'est pas Mustang que le trio aurait dû se baptiser. C'est DeLorean.

Stéphane Duchêne 

«Tabou» (Sony Music/Jive Epic)


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