Duris sort du bois

D'un texte de Koltès, tortueux et rude, Romain Duris fait un spectacle puissant grâce à son talent plus grand encore qu'imaginé. Pour sa première apparition au théâtre, il prouve qu'il a toute sa place sur les planches. Nadja Pobel


Il ne s'agit pas de faire d'Une nuit juste avant les forêts un référendum pour ou contre Duris (d'autres grands noms l'accompagnent sur l'affiche : mise en scène co-signée par Patrice Chéreau et texte de Bernard-Marie Koltès) mais après 1h30 de spectacle, force est de constater que le comédien, depuis peu au théâtre (exception faite d'un balbutiement dans Grande École de Jean-Marie Besset en 1995), emporte tous les suffrages. Il est fait pour ça. Il faut dire que Romain Duris a bien grandi depuis le succès dont il a très tôt auréolé et sur lequel il a surfé presque malgré lui après les films de Cédric Klapisch (Le Péril jeune, L'Auberge espagnole, Les Poupées russes mais aussi le très réussi Paris). Et puis en un jour béni pour le cinéma, l'immense Jacques Audiard en a fait une petite frappe mélomane qui refuse de suivre le chemin tracé par son magouilleur de père dans De battre mon cœur s'est arrêté. Quand Patrice Chéreau l'appelle pour incarner un paumé, gageons que c'est à ce film-là qu'il pense : un homme pris dans les flots peu amènes de l'existence mais qui a encore tant de choses à nous dire et à quémander. Avant de le mettre en scène au théâtre, il en fait d'ailleurs un amoureux désemparé dans Persécution. Un grand interprète dans un film mineur. Duris peut porter quasiment à lui seul un film. Il en fait de même avec La nuit juste avant les forêts.

Le garçon sous le pont

Ce récit de Bernard-Marie Koltès est une phrase longue de soixante-trois pages d'un homme ivre qui prône, avec un mélange de tendresse et de colère voire de désespoir mêlés, «la défense des loulous pas bien forts» et la création d'un «syndicat à échelle internationale». Il cherche en fait à passer une nuit avec un humain, pour briser sa solitude. Dans un espace de jeu presque continuellement resserré aux quelques centimètres carrés d'un lit d'hôpital sous une lumière blanche qui ne laisse aucun échappatoire, Duris se contorsionne, rampe, tente de lever mais n'y arrive jamais ; trempé jusqu'aux os, il halète, râle, tremble, s'énerve. Variant constamment son jeu, il fait ressentir physiquement le poids de l'isolement de manière plus forte encore que Koltès ne le dit en mots. Modeste face à ce projet théâtral, Romain Duris se met entièrement au service du texte et en ressort magnifié. Qu'on se le dise, cet acteur-là est un grand.

La Nuit juste avant les forêts
Au Théâtre national populaire
Jusqu'au samedi 17 mars


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