Îlot de résistance

À l'Institut d'Art Contemporain, Berdaguer et Péjus présentent des installations explorant l'architecture, les sciences ou d'autres savoirs, ainsi que leurs pouvoirs de domination sur notre corps et notre psyché. Jean-Emmanuel Denave


À l'Institut d'Art Contemporain (IAC), on se creuse la tête et même... le cerveau ! Cerveau à propos duquel Nathalie Ergino (directrice de l'IAC) programme de nombreuses expositions, des colloques, des conférences confrontant sciences et arts plastiques (la notion de plasticité étant d'ailleurs, pour la neurologie comme pour l'art, une notion centrale). À l'heure où les neurosciences sont en pleine expansion et envahissent l'espace social et universitaire, l'initiative de l'IAC ne peut être que saluée. Il est toujours stimulant que des artistes s'emparent des enjeux contemporains pour les décrypter, les désosser, les présenter sous un autre angle, voire pour résister à la domination de certaines normes, savoirs ou idées reçues... Le travail de Marie Péjus et Christophe Berdaguer s'inscrit dans ce sillage, leurs œuvres explorant les relations entre cerveau, corps et environnement, tout en s'appuyant sur des domaines aussi divers que la psychanalyse, la neurologie, l'architecture, la parapsychologie....

Possibilités d'une île

«Le titre de notre exposition, Insula, évoque tout à la fois une île et ses possibilités d'utopies, l'habitat collectif dans la Rome antique et donc le vivre ensemble, et une petite zone de notre cerveau qui gère les émotions», précise Christophe Berdaguer. Cette île rassemble, dans une mise en scène très fine (échos entre les œuvres, alternance d'atmosphères très différentes...), des œuvres récentes ou anciennes qui se présentent sous forme d'installations, d'architectures, d'environnements parfois très esthétiques... Une structure empruntée à l'architecte Gaudi y croise par exemple la communauté alternative sur l'archipel écossais de Saint-Kilda. Une étrange et sombre «salle de consultation» au cœur du musée évoque le dispositif spatial de la psychanalyse, avec la «scénographie» singulière inventée par Freud du divan et du fauteuil. Ailleurs, des projections vidéos nous entraînent dans une «forêt épileptique» aux arbres éclairés par des stroboscopes dont la fréquence est susceptible de provoquer des crises d'épilepsie. Le visiteur est tour à tour immergé dans des environnements très «sensoriels», ou confronté, avec plus de distance critique, à des œuvres énigmatiques tels ces deux hublots emplis d'eau sombre où nagent peut-être deux poissons aveugles... Les artistes invitent aussi au doute, à la réflexion, et tout simplement à la lecture du livret d'exposition pour bien comprendre les enjeux et les références de leurs installations.

Effets de surface

Si les thématiques investies par Berdaguer et Péjus sont passionnantes, leurs pièces s'avèrent parfois un peu limitées, restant à la surface des choses ou fonctionnant comme simple renvoi à une problématique scientifique. Leur «Jardin psychologique», par exemple, est constitué d'un haut grillage entourant un sol de sable noir, avec quelques mobiles colorés suspendus. Ces mobiles représentent les différentes taches du célèbre test de Rorschach et l'installation, d'allure lugubre, se veut une critique des tests psychologiques classant les individus dans des cases étroites. La controverse n'est pas nouvelle et l'œuvre concrètement parcourue reste, de notre point de vue, anecdotique. Ou pour le dire autrement : beaucoup d'efforts déployés et d'espace utilisé pour un résultat sensoriel maigre et une pensée critique peu originale... Nous éprouvons le même sentiment à la découverte d'une installation visuelle et sonore reconstituant les «paroles martiennes» d'une illuminée du XIXe siècle ayant inventé quelque 400 mots pour s'adresser aux ancêtres d'E.T... Il ne s'agit ici que d'une transposition plastique d'un phénomène linguistique singulier, laissant sur sa faim... «Nos œuvres essaient de retourner et de questionner le pouvoir des architectes, des médecins et des instances scientifiques. Nous créons des situations étranges afin que le visiteur soit pris au dépourvu et soit amené à trouver sa propre place», déclare le duo. Mais leur démarche, souvent stimulante, ne fonctionne plus lorsque leurs œuvres ne font qu'évoquer, informer ou matérialiser certaines élucubrations documentées.


<< article précédent
Le cuivre, un bon tuyau