Au cœur des ténèbres


Titanesque. C'est ainsi qu'on pourrait qualifier, sans mauvais jeu de mots, le travail d'Emre Orhun sur cet album. Ce n'est d'ailleurs pas faire injure à son scénariste, Cédric Rassat, qui a su, lui, déceler dans cette histoire légendaire tout le potentiel visuel que le dessinateur pourrait en tirer via sa technique de «la carte à gratter». Laquelle s'apparente un peu à la devise «et la lumière fut». Mais pas trop : juste ce qu'il faut pour éclairer notre lanterne et nous permettre d'avancer timidement dans les ténèbres.

De l'obscurité de la nuit tragique du 14 au 15 avril 1912, Emre Orhun fait surgir des personnages grotesques, et sublimes, dans une entreprise de dynamitage de la traditionnelle case de BD, l'intrigue fantastique et mystique imaginée par Cédric Rassat : alors que les passagers de la haute société du Titanic – métaphore d'une époque qui n'a pas encore basculé dans le terrible XXe siècle – s'enivrent de leur propre fatuité lors d'un bal costumé, que d'autres interrogent la condition humaine, que l'équipage se gargarise de l'insubmersibilité de ce monstre des mers, une momie égyptienne est libérée et sème la terreur sur l'insubmersible pendant que le drame se prépare.

À moins qu'une malédiction pharaonique ne soit elle-même la cause de la tragédie. C'est, parmi les thèses les plus farfelues ayant couru sur les causes du naufrage, celle choisie par Rassat et Orhun en une lecture fantaisiste et fantastique d'un événement dont on sait déjà tout. Une manière de le styliser à l'extrême, d'en relever l'absurdité existentielle en même tant que la terrible noirceur. Celle là même dans laquelle la technique en négatif d'Emre Orhun fait plonger notre regard jusqu'à risquer la noyade.

Stéphane Duchêne

«La Malédiction du Titanic» (Glénat)


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