Cercles vertueux


Journalistes, auditeurs, musiciens, tous autant que nous sommes avons tendance à sous-estimer les bénéfices d'une bonne adéquation entre le nom d'un artiste et la musique qu'il produit.

Les Sparks nous auraient-ils paru si géniaux si leur simple évocation n'avait fait jaillir des étincelles ? AC/DC nous aurait-il autant électrisé l'épiderme si son sigle ne s'était pas traduit par «courant alternatif / courant continu» ? L'écoute de Black Sabbath nous aurait-elle parue si transgressive si le groupe s'était appelé Pink Week-end ? Vous voyez le topo.

Le cas Russian Circles demande un peu plus de gymnastique, mais il n'en est pas moins révélateur. Originaire de Chicago, berceau du rock instrumental, ce trio doit son sobriquet à une routine de hockey sur glace consistant à relier, via un itinéraire dessinant grossièrement un W, cinq cercles répartis en croix tout en alternant patinage avant et patinage arrière. Destiné à faire progresser les joueurs en vitesse et en technicité, l'exercice requiert une attention de tous les instants et une grande maîtrise de la volte-face. L'écoute des disques de Russian Circles, étendues crevassées où l'orage guette à chaque coin d'ampli, aussi. Mais la récompense est à la hauteur de l'effort requis par leur traversée : de galvanisant sentiments de transcendance comme seuls le post-rock et a fortiori le post-metal, puisque c'est dans cette retentissante ligue qu'évoluent ces trois jeunes gens à cheveux gras, aussi codifiés soient-ils (mélodies en motifs, arrangements en textures, considération du silence comme un son), peuvent en induire.

Benjamin Mialot


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La méthode La Cordonnerie