Nuits sonores – Vendredi 18 - Report

Sept lieux, six sessions de 9h de live, trois concerts spéciaux. Il fallait bien ça pour fêter les dix ans de Nuits sonores, fleuron européen de la musique électronique (et plus si affinités). Compte-rendu du jour 3. Benjamin Mialot


Une blonde en mal de vodka. Un grand brun nous reprochant l'absence de points de vente de cigarettes. Une poignée de jeunes ayant pensé à tout sauf à la weed. Hier, la frange la plus secouée du public de Nuits Sonores nous a pris pour un distributeur ambulant. Manque de pot pour elle, même si notre manière de danser peut prêter à confusion... Coup de bol pour elle, hier, les hallucinations et la transe étaient comprises dans le prix des billets. 



Le freak, c'est chic

À l'Hôtel-Dieu, on s'est demandé si «l'appartement de fous» qui jadis scindait en deux la cours de sa chaufferie était encore en service et si ce n'était pas ses locataires qui se succédaient sur la grande scène. Prenez les Londoniennes de Trash Kit. Elles ont bien essayé de nous la mettre à l'envers, à se pointer sans leurs habituelles peintures de guerre fluo, mais leur rock, primitif et béat comme du Animal Collective interprété par les Slits, ne laisse aucun doute : elles souffrent d'un touchant complexe de Peter Pan.

Prenez aussi Hunx & His Punk. Un fascinant cas de trouble du déficit de l'attention que cette bande de San Franciscains, dont les airs de figurants de comédie musicale queer et les refrains à fort taux d'iode ont transformé les plus consciencieux de nos collaborateurs en d'incontrôlables groupies.

C'est cependant pas de Teutonnie dont étaient originaires les patients les plus irrécupérables et, par conséquent, les plus passionnants. D'abord de Hambourg, en ce qui concerne Felix Kubin. Ou était-ce Alec Empire ? Ou bien Klaus Nomi ? Un membre caché de Kraftwerk, peut-être ? À moins qu'il n'ait s'agit d'un officier de marine en charge de la maintenance de radars et d'outils de brouillage ? Franchement, on ne sait plus, mais cette façon de maltraiter la musique de salon à coups de croons, d'invectives et de tirs de laser béotiens relève définitivement du Trouble de l'identité multiple.

La palme de l'anomalie revient toutefois aux Berlinois Ben Klock et Marcel Dettmann, résidents du fameux Berghain (le temple mondial de la techno à écouter collé aux enceintes) et psychopathes certifiés : en six heures d'un set implacable, et malgré un ravitaillement continu en champagne, on a dû les voir sourire deux fois. à leur décharge, deux, ce doit aussi être le nombre de fois qu'on a ouvert les yeux.

Here comes the boom

Les yeux, on les a aussi peu ouverts à Brossette. Juste le temps de s'extasier sur l'ambiance, digne du nouvel an dépeint dans le Strange Days de Kathryn Bigelow, d'éprouver de la compassion pour les poulets élevés en batterie et de remarquer ça et là des hommages à Adam Yauch et Donna Summer. Le reste de la nuit, nous étions tout simplement trop occupés à recevoir des leçons. Des leçons de groove, notamment du côté de la scène Red Bull, où un Theo Parrish extatique a sublimé à coups de collages virtuoses l'héritage musical de Détroit. Des leçons de classe, telle que celle dispensée par le Néerlandais Martyn et son inimitable dubtech. Des leçons de puissance, également. De la part, par exemple, du Californien Flying Lotus. Lequel, empruntant à des productions aussi diverses que celles de Mr. Oizo et Radiohead (une ovation à chaque sample), a bien du valoir à Arty Farty quelques réprimandes de la commission du désarmement de l'Organisation des Nations Unies.

Des leçons oui, mais aussi et surtout une claque, administrée par Joakim. Venu en trio et lui-même dépassé par l'ampleur mélodique et l'intensité rythmique de ses chansons (il lui a fallu se séparer, comme une fusée largue ses accélérateurs une fois atteinte sa vitesse de croisière, d'une bonne partie de sa setlist), le boss du label Tigersushi a tout simplement fait passer le concert donné par !!! l'avant-veille pour une surboum post-remise de diplômes. L'un des nombreux rock acts invités se produisant aujourd'hui lui fera-t-il subir le même sort ? La teneur du secret stage sera-t-elle à la hauteur des folles spéculations dont elle est la cible ? Les Français comprendront-ils enfin qu'un hot-dog, c'est à base de pain brioché ? Réponses demain, dans notre avant-dernier report.


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