L'abstraction, au plus concret

Dominique Coffignier à la galerie Pallade, Guillaume Treppoz à la galerie Chartier : deux expositions où la figure s'absente mais où la matière se fait présence forte et invitation à la dérive des perceptions. Jean-Emmanuel Denave


«Voyez-vous j'ai beau comprendre la valeur des mots – abstrait ou concret – dans le dictionnaire, je ne les saisis plus en peinture», écrivait Gauguin en 1899. Et force est de constater qu'en art, le terme d'abstraction prête à confusion jusqu'à s'inverser, tant parfois la peinture abstraite peut s'avérer des plus concrètes matériellement et la peinture ou la sculpture figuratives (statuaire antique, portraits visant le beau idéal, Symbolisme…) s'éloigner du monde «réel» vers l'abstraction des idées… Dans les années 1950, l'art informel d'un Wols ou d'un Fautrier remettait déjà en question nos catégories habituelles. Le critique d'art Michel Tapié soulignait alors que «le problème ne consiste pas à remplacer un thème figuratif par une absence de thème, qu'on nomme abstrait, non figuratif, mais bien à faire une œuvre, avec ou sans thème, devant laquelle on s'aperçoit petit à petit que l'on perd pied… une telle œuvre portant en elle une proposition d'aventure, mais dans le vrai sens du mot aventure, c'est-à-dire quelque chose d'inconnu». Dans cette mouvance, l'œuvre de Dominique Coffignier invite l'œil, plus modestement, au «voyage» parmi ses coulures, ses renflements, ses collages de bouts de carton ou de vieux chiffon, ses supports volontairement gondolés…

Abstraction al dente

On verra, avec raison, dans les toiles de Coffignier (en parallèle à un savoir-faire dont il peut abuser) l'influence de l'artiste catalan Antoni Tapiès ou celle de Paul Rebeyrolle. On y retrouve la violence de trait de ce dernier, son aspect pulsionnel, et par ailleurs un beau travail sur les rythmes spatiaux et les rapports conflictuels des couleurs (lutte du rouge et du noir dans un même tableau, ou contraste entre des univers sombres et des univers très clairs d'un tableau à l'autre…)…

À la galerie Chartier, les toiles du lyonnais Guillaume Treppoz semblent, elles, quasi organiques. Sa série la plus récente La glace et le sang (certes un peu répétitive à la longue) amalgame morceaux de bouteilles en plastique et peinture, jouant de multiples reliefs, reflets, textures, et impressions sans cesse changeantes. L'œil du visiteur peut presque s'y engluer ou s'y blesser. Il peut aussi, face aux toiles d'une autre série (Nidifications), osciller de l'admiration lointaine pour leurs jeux de lignes en mouvement, à l'étonnement (en s'approchant) devant l'aspect concret de ces lignes, ressemblant à d'épais entrelacs de spaghettis… Les formes prolifèrent à partir de bien curieux et ambigus éléments décidément.

Dominique Coffignier, «L'Œil voyageur»
À la galerie Pallade,  jusqu'au samedi 7 juillet 

Guillaume Treppoz
À la galerie Henri Chartier, jusqu'au jeudi 12 juillet


<< article précédent
Sylvie Guillem, deux pas sur trois