Rebelle

Mais qui arrêtera les studios Pixar ? Leur retour à une histoire originale après deux prolongations de franchises maison donne lieu à une pure merveille, chef-d'œuvre scénaristique et leçon de mise en scène animée. Christophe Chabert


Il était une fois une princesse écossaise qui rêvait de prendre les armes et de changer son destin, ne plus être la femme promise à un mariage de compromis pour préserver le Royaume des divisions claniques mais se transformer en aventurière romanesque. Cet argument a tous les atours d'un standard Disney, un genre de Raiponce en plus rugueux et féministe. Mais Rebelle est une production Pixar qui, une fois encore, taille des croupières à tous ses concurrents dans l'animation contemporaine.

On a pu aimer les progrès effectués chez Dreamworks ou saluer un exploit du côté de l'hexagone (l'excellent Ernest et Célestine, à sortir en décembre) ; mais il faut le reconnaître : Pixar rappelle chaque été qui est le patron, que ce soit en transformant sa franchise la plus populaire en réflexion sombre sur la Shoah (Toy story 3) ou, comme ici, en se lançant dans une histoire originale qui, ce n'est pas la moindre de ses qualités, s'avère VRAIMENT originale.

Peau d'ours

Qu'on se le dise, Rebelle est un chef-d'œuvre de scénario. Son premier acte, qui s'achève sur le concours des prétendants et le refus de la belle Merida de se plier à la tradition imposée par son père Fergus mais surtout par sa mère Elinor, relève d'un classicisme élégant, sublimé par une mise en scène d'une fluidité et d'un goût parfaits. En revanche, dès que Merida s'enfuit dans la forêt et y croise une sorcière reconvertie dans la sculpture d'ours sur bois, Rebelle devient absolument inattendu, osant avec un panache sidérant toutes les cassures et toutes les, pour mieux retomber sur ses pieds dans un finale magistral, où l'on pleure, on rit et on a peur dans le même mouvement.

Il ne faut donc pas trop en dire pour ménager les nombreuses surprises que le film recèle, mais on évoquera tout de même la manière dont les auteurs s'amusent avec l'anthropomorphisme Disney : ici, il ne s'agit pas de rendre les animaux humains en les faisant parler, mais de faire des humains eux-mêmes des animaux patauds et maladroits — on pense, dans un raccourci très bizarre, à Jean Renoir courant dans les couloirs de La Règle du jeu en gueulant «Qu'on m'enlève ma peau d'ours !». Il en est de même avec les codes du conte de princesse : Merida va-t-elle croiser le prince charmant ? Il y a bien un prince, certes, mais celui-ci n'a rien de charmant, et la malédiction qui le frappe n'est pas la conséquence d'un mauvais sort, mais la rançon de son orgueil impétueux.

Quant au féminisme revendiqué du film, il pourrait fondre comme neige au soleil avec une histoire de tapisserie à recoudre — Merida fera-t-elle ce geste, ô combien féminin, et du coup répondre enfin au stéréotype qu'on aimerait lui voir endosser ? Pas tout à fait, car ce rapiéçage grossier est avant tout une histoire de transmission, comme s'il fallait en passer par une déchirure (motif récurrent dans le film) pour vraiment s'accomplir soi-même. Il est dit au début et à la fin qu'«une légende est une leçon» ; mais c'est aussi l'inverse : Rebelle, leçon d'écriture et de mise en scène, est un film appelé à faire légende.


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