La chute des graves

Peintre et dessinatrice, Iris Levasseur présente à l'IUFM une dizaine d'œuvres monumentales récentes où la pesée des corps et celle des âmes s'entrecroisent… Jean-Emmanuel Denave


Lectrices, lecteurs qui attendez d'un artiste qu'il vous révèle la psychologie ou l'intériorité d'un modèle, passez votre chemin… Car, si Iris Levasseur nous confronte très directement et physiquement à l'intimité de ses modèles (via leur représentation à l'échelle 1, son style réaliste et l'absence de cadre ou de vitre protectrice à ses dessins et peintures), c'est pour mieux en intensifier, en alourdir, la part d'énigme. Chez elle, les corps pèsent de tout leur poids, vertical et métaphysique, de mystère. Ils sont d'ailleurs souvent représentés allongés, parfois accroupis, toujours repliés sur eux-mêmes, chair et psyché enveloppés dans le sommeil, la mort ou l'abandon… L'artiste évoque même dans une interview des «corps gelés», composés à partir de photographies de modèles, réassemblées ensuite, recomposées dans une visée quasi «sculpturale». «L'image, présente derrière chaque chose et comme la dissolution de cette chose et sa subsistance dans sa dissolution, a aussi, derrière elle, ce lourd sommeil du trépas dans lequel il nous viendrait des songes», écrit Maurice Blanchot.

Belle endormie

La jeune artiste parisienne (née en 1972 et travaillant dans un ancien site Sncf d'où partaient les trains vers les camps de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale !) a choisi de placer son exposition à l'IUFM sous le signe du peintre suisse Ferdinand Hodler (1853-1918). En 1889, celui-ci avait notamment réalisé une «Nuit» grandiose de trois mètres de long avec plusieurs individus dénudés et allongés, hantés par d'informes et inquiétantes masses noires. Iris Levasseur présente un «remix» de cette toile avec un ensemble de quatre dessins et peintures aux personnages nus ou habillés «streetwear» et toujours absorbés dans leurs pensées ou rêveries… Tout dans cette œuvre comme dans beaucoup d'autres est histoire de dialectique entre les horizontales et les verticales, la pesanteur et l'érection, le corps et l'âme. Oui, l'âme, ou la psyché qui est présente sous forme de miroirs fragmentant le corps d'une femme nue et endormie. Par le biais du reflet, le cubisme fait ici un surprenant retour et donne à voir l'éparpillement de nos représentations contemporaines (un bout d'image ici, un bout d'image là, un écran de portable, une vidéo de surveillance, une page de facebook…). «Le reflet ne paraît-il pas toujours plus spirituel que l'objet reflété ? N'est-il pas de cet objet l'expression idéale, la présence libérée de l'existence, la forme sans matière ?», s'interroge encore Blanchot.

Iris Levasseur, «Out of Hodler»
À la galerie Confluence(s) IUFM
Jusqu'au vendredi 26 octobre


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