Houle sentimentale


Pour reprendre quelque mots de son classique "Si tu disais", et les retourner contre elle : si Françoiz Breut disait «on y va», on n'hésiterait pas, «que ce soit pour une ville ou pour un bled, un bout de terre paumée», pour Le Nord, Porstmouth, Tarifa et même Cherbourg, sa ville natale, alors qu'on n'a jamais de parapluie sur nous. Et même si ce ne devait être que L'Affaire d'un jour, pour elle on se faderait des orchestres de Verre pilé. On la laisserait même jouer au docteur, se livrer sur nous à cette Chirurgie des Sentiments qui donne son titre à son dernier album.

On y retrouve, comme sur toute sa discographie, cette sensation de houle sentimentale pour amoureuse insaisissable, ces chansons qui tanguent entre vie à faire et amours défaits, entre clair et obscur (Potron Minet, L'Éclat du jour), changement (L'Astronome, Werewolf) et effacement (La Gomme, L'Ennemi invisible). Mais ce terrain connu se mue ici parfois en terre inconnue. Car sans doute cet album est-il le plus singulier de la Bruxelloise d'adoption (BXL bleuette, son hommage à la capitale belge, ouvre le disque). Grâce en soit rendue au formidable travail exécuté en compagnie de son complice Stéphane Daubersy. Mais aussi à la production très pointue de Don Nino : extraits sonores, samples, touches électroniques, arythmies cardio-musicales (La Chirurgie des sentiments, justement, et ses problèmes de cœur), ce disque aux allures de Cabinet de curiosités grouille de mille trouvailles et de bouts de ficelles qu'on n'en finit plus de dérouler.

Sur le crypto-caribéen Michka Soka, elle chante, désinvolte comme jamais, «oublie-moi, je reviendrai sûrement». Peine perdue : on n'oublie pas les filles comme Françoiz. Mais quand elles reviennent sonner à la porte de cette manière, on n'en est pas moins transi, valise bouclée, «prêt comme si [on] attendait».

Stéphane Duchêne

"La Chirurgie des Sentiments" (Caramel Beurre Salé)


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A cœur ouvert