Tournez manège !

Malgré de beaux moments dans le "Sacre du Printemps" de Thierry Thieû Niang, la dernière semaine de la Biennale de la danse nous laisse à nouveau sur notre faim d'inédit et de créativité. Jean-Emmanuel Denave


Au TNP la semaine dernière, il y eut une sorte de précipité (comme on dit en chimie) de l'histoire de la danse et du théâtre modernes : Patrice Chéreau, pieds nus, lisant le journal de Nijinski où celui-ci pourfend le théâtre et défend le «sentiment», peste contre Serge de Diaghilev et Igor Stravinski, ces personnages selon lui ennuyeux, prône la vie, le mouvement, l'écriture et la masturbation contre l'esprit de sérieux, la scène guindée…

On aurait cru entendre Artaud dans son Théâtre de la cruauté, et on assistait alors à de singuliers courts-circuits entre les histoires du TNP, de la danse, de Chéreau, du Sacre du Printemps (dont on fêtera l'an prochain les 100 ans), de ce qui fît scandale en 1913 mais ne le fait plus, de ce qui fît modernité mais ne le peut plus… Épuisement. C'est dans la neige que se termine le récit de Nijinski et que démarre alors la musique du Sacre de Stravinski et s'ébranle le "tournez manège" de vingt-quatre danseurs amateurs âgés.

Une belle spirale sans fin plutôt émouvante, un mouvement en hélices multiples non sans charme, des corps fatigués mais fiers, précis et poignants…

Un pas en avant, deux pas en arrière

Reste que ce …Du printemps ! signé Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères ressemble à un dernier tour de manivelle scellant dans son sarcophage d'ultimes traces diluées de la "modernité" : des corps généreux mais une mise en scène trop maligne et soignée dont rien ne déborde ni ne jaillit (la vie d'accord, mais de loin s'il vous plaît), une partition tellement entendue et diffusée ici beaucoup trop en sourdine pour qu'on en ressente encore les éclats fulgurants, des lumières en clair obscur belles et théâtrales qui embaument et étouffent définitivement le tout. Un parfum de nostalgie et d'hébétude mêlées…

Mais il ne faudra pas compter sur de jeunes chorégraphes pour cesser de tourner en rond. La création de Yuval Pick, Folks, tourne même à la catastrophe, lâchant sept danseurs dans un vide presque total d'écriture, d'intention, d'intensité (pourtant le point fort du chorégraphe dans ses pièces précédentes que nous appréciions)… Prenez-vous par la main, faites un pas en avant, un pas en arrière, un pas sur le côté. On dirait de la chansonnette pour enfants, et guère plus…

On a cru que la danse sauverait le théâtre de l'ennui du sacro-saint texte, le théâtre est revenu avec Pina Bausch ou Maguy Marin donner un second souffle de violence à une danse trop engluée dans ses mouvements.

Aujourd'hui, toute biennale bue, on ne sait trop d'où arrivera un souffle nouveau. Malheureusement pas du québécois Dave St-Pierre, dont la création ressasse sans originalité les performances des années 1970 et les vertigineuses prises de risques physiques de Wim Vandekeybus et de la scène flamande.


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