The Daredevil Christopher Wright

The Nature of Things (Almost Musique)


Que sait-on au juste de l'Etat du Wisconsin, pendu comme une balloche au sud de la frontière canadienne ? Qu'il borde le lac Michigan d'un côté et la Highway 61 chère à Bob Dylan de l'autre. Qu'on y brasse de la bière en grande quantité, pour oublier qu'on vit à Milwaukee ou Madison. Que les Packers de Green Bay (football américain) y sont la seul équipe du sport professionnel américain à fonctionner sous le régime de la coopérative et à appartenir à ses 112 000 supporters (en violation totale mais tolérée des règles en vigueur dans son championnat). Et enfin qu'il est le théâtre des Jours Heureux de Ritchie Cunningham et Arthur Fonzarelli alias Fonzie.

Mais depuis quelques temps, on sait aussi qu'on y trouve des barbus à la voix délicate qui aiment à s'isoler dans des cabanes en bois pour écrire des chansons tristes, tel Justin Vernon aka Bon Iver qui, suite à une rupture amoureuse se retira un jour dans les bois aux alentours d'Eau Claire – ville vestige de la Nouvelle-France, province coloniale, française donc, abandonnée en 1763.

On ne s'étonnera pas de savoir, à l'écoute de leur musique et plus particulièrement de leur dernier album, The Nature of Things, que les trois membres de The Daredevil Christopher Wright (Jon et Jason Sunde et Jesse Edgington) soient des amis de ce bon Bon. Et que probablement, ils fréquentent le même barbier d'Eau Claire – le genre qui promet de raser gratis, mais demain, ou qui est mort depuis 10 ans sans que personne ne s'en soit aperçu.

A la différence que, comme l'indique leur nom, The Daredevil Christopher Wright sont davantage des adeptes de la cascade – à tous les sens du terme – pop. Un peu comme si Bon Iver, au lieu de réécouter en boucle Phil Collins (un truc qu'on a du mal à lui pardonner, surtout depuis son passage semi-magique, semi-viandé, aux Nuits de Fourvière), se mettait à faire des cascades. Le Daredevil, c'est donc celui qui tente le diable, le casse-cou qui se moque du danger. Qui regarde le malheur dans les yeux et lui fait un bras d'honneur.

Car ici les thématiques déprimantes déjà à l'oeuvre chez Bon Iver, ou carrément flippantes – on ne rit pas tous les jours à Eau Claire – sont portées par une musique gracieuse et parfois enjouée (Divorce, Blood Brother). Comme des Beach Boys en course d'orientation dans les sous-bois ou un Sufjan Stevens en repérage, The Daredevil Christopher Wright sautent de flaque en flaque, escaladent les harmonies vocales comme personne (Church et le non moins religieux Ames, IA), fabriquent de petits arrangements avec la déprime et de grands arrangements avec la musique. Se livrent à une course effrénée à l'échalote pop sans crainte de sauter par dessus des ravins que nul n'oserait franchir à part les cavaliers de l'Apocalypse (Pale Horse, Pale Rider). Avec toutefois la maîtrise des grands champions qui n'affrontent pas la mort sans s'être préparés pendant des mois : plus Evel Knievel qu'Hot Rod, donc.

Malgré tout, ce trio, qui ne semble pas pouvoir choisir entre la superstition bigote et la science de la nature des transcendantalistes, n'est pas sans nous rappeler la célèbre nouvelle d'Edgar Poe à travers laquelle il moquait métaphoriquement ses pairs transcendantalistes : Don't Bet the devil your head – plus que librement adaptée au cinéma dans un court métrage de Fellini pour le film à sketches Histoires Extraordinaires (1968). Dans la nouvelle, l'infortuné fanfaron Toby Dammit, à force d'y « parier sa tête au diable », finit par la perdre, suite à un défi stupide impliquant un saut un peu trop périlleux dans la pénombre qui voit son chef tranché par un câble en métal invisible.

A ceci près, qu'en écoutant ces casse-cou de Daredevil, c'est l'auditeur qui finit par en perdre la tête. Peu importe : l'enfer, comme le ciel, peuvent bien attendre, puisqu'il y a le Wisconsin.

Stéphane Duchêne


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