«La lucidité n'est pas sombre»

Rencontre avec Claudia Stavisky pour sa quinzième création sur le plateau des Célestins depuis qu'elle en a pris la co-direction en 2000. Au lendemain de la première, elle revient sur son prégnant désir de monter ce chef-d'œuvre de Miller. Propos recueillis par Nadja Pobel


Est-ce que vous montez ce texte aujourd'hui précisément parce que nous sommes en temps de crise ?
Claudia Stavisky :
 Un choix n'est jamais indépendant du contexte actuel. Mais cette pièce-là, je l'ai choisie car c'est d'abord un monument de la littérature contemporaine, c'est aussi grand que du Shakespeare ou du Tchekhov. C'est aussi parce que l'histoire de cette famille nous parle de façon très contemporaine non pas de la crise - car ce n'est pas une pièce conjoncturelle - mais du devenir des êtres quand leurs rêves sont brisés. Je n'ai pas eu de déclic par rapport à l'actualité. Je pense depuis cinq ans à la monter car elle a toujours été dans ma tête, c'est le théâtre de mon enfance. Quand j'étais petite à Buenos Aires, c'était ce genre de pièce-là qui me donnait envie de faire du théâtre. Mais pourquoi la monter maintenant ? Probablement parce que l'écho est assourdissant avec notre réalité quotidienne et aussi parce que je me suis sentie probablement mûre pour l'attaquer.

Vous l'avez traduite. Avez-vous voulu la rendre plus actuelle encore ?
Non. C'est vraiment strictement ce qui est écrit. Parfois juste un tout petit peu allégé. La pièce est écrite dans un langage populaire et familial très fort. Ce n'est pas un langage littéraire même s'il y a des envolées extraordinaires. Ça cohabite. Un des problèmes principaux était de traduire ces différents niveaux de langues sans que ça fasse soupe comme dans les séries B et sans que le poétique ne fasse trop littéraire.

Le personnage principal, Willy Loman, apparait plus sombre que Miller ne le souhaitait. Peut-être parce que vous avez coupé la fin où Miller explique qu'il s'est suicidé pour que ses fils touchent son assurance-vie ?
Pour moi, la lucidité n'est pas sombre. Je préfère mille fois la réalité et la vérité, donc la lucidité, à Disneyland. Personnellement, je ne trouve pas la pièce pessimiste tant elle remue. La question de la fin de la dernière scène est intéressante car les producteurs ont demandé à Miller après la première ou deuxième représentation à Broadway d'écrire très vite un truc pour ne pas finir sur la mort de Willy. C'était trop dur pour l'époque mais c'est quelque chose avec lequel il n'était absolument pas d'accord et que je trouve très mauvais, très en-dessous du reste de la pièce. Il me semble qu'une image suffisait à passer de la mort à la renaissance. C'est beaucoup plus fort et poétique que cet épilogue-là qui donne une justification morale qui ne m'intéresse pas du tout.

Un mot sur le décor. Pourquoi optez-vous pour cette structure métallique a priori neutre ?
Je voulais accomplir un paradoxe : en même temps un espace vide où les corps des acteurs s'entrechoquent et un espace structuré qui ne soit pas un espace vidé. Donc, de cette recherche-là, est venue cette idée de traiter la maison comme des traits au crayon.


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