La Chinoise / Bande à part

Jean-Luc Godard Gaumont vidéo


Les restaurations continuent à un bon train dans le catalogue Gaumont, et témoignent d'un joyeux éclectisme, puisqu'on y passe des fleurons du cinéma populaire (Lautner, Deray, De Broca) à des piliers du cinéma moderne, comme ces deux Godard dont l'un d'entre eux (La Chinoise) était carrément inédit en DVD ! Alors dans sa période la plus spectaculairement créative, enchaînant les chefs-d'œuvre tout en renouvelant, à chaque film, de fond en comble la grammaire cinématographique, Godard y opère de l'un à l'autre un basculement encore plus décisif : celui qui va le faire passer d'anarchiste de droite à maoïste convaincu.

Bande à part est ainsi marqué par son goût pour le cinéma pur et l'art pour l'art, avec son intrigue simili-policière surtout prétexte à filmer de beaux jeunes gens (Sami Frey, Claude Brasseur et Anna Karina) qui s'aiment, s'engueulent et se trahissent à Paris la nuit, dans sa banlieue un peu triste le jour. C'est le film où Godard ne joue que sur les rythmes disloqués, tels cette visite de musée au pas de course ou ce long moment où le trio se fige dans le silence dans un café. Bande à part a irrigué l'imaginaire des cinéastes à un point troublant : Christophe Honoré en copie les meilleurs passages dans Dans Paris et Tarantino, godardien fervent, a détourné son titre pour en faire le nom de sa société de production (Band apart).

Changement de ton avec La Chinoise : les couleurs pétantes façon Pierrot le fou remplacent le noir et blanc, et il n'y a ici même plus l'effort de brosser une intrigue. Seul compte le devenir des personnages, en roue libre à l'instar d'une jeunesse qui s'apprête à tout foutre par terre quelques mois plus tard en mai 68. C'est un trio emmené par un Jean-Pierre Léaud halluciné qui prend donc le maquis et invente une cellule pro-chinoise le temps d'un été dans un appartement bourgeois. Autour de lui, Juliet Berto et Anne Wiazemsky, nouvelle épouse et muse éphémère de Godard, rajoutent du sentiment et de la fantaisie pure à l'austérité du propos dialectique, rappelant que même lorsqu'il se veut politique, Godard reste avant tout un romantique. Le très beau dialogue dans le train avec le philosophe à la fin est aussi troublant pour ce qui est dit que pour la manière dont Godard filme Wiazemsly, avec une fascination érotique palpable. Chez lui, la révolution est avant tout sexuelle ; le reste, c'est du cinéma.

Christophe Chabert


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