Motorama

Calendar (Talitres)


On a tous reçu un jour dans notre boîte aux lettres le prospectus d'un marabout africain comme il en existe des milliers, des prospectus en tout cas (on en connaît même qui en font collection). Lequel voyant-médium-génie-marabout promet de faire revenir l'être aimé en trois jours, de redresser les pénis tordus (un accident est si vite arrivé, et allez donc trouver un redresseur de pénis un dimanche) ou même de régler un problème informatique, bref de réduire un certain nombre de problèmes de la vie courante auxquels chacun finit un jour par être confronté. Il en existe même, ne nous demandez pas pourquoi, qui font « redémmaré les motos russes », en Français dans le texte, ce qui n'est pas la moins fascinante des facultés, vous en conviendrez. Bien sûr, encore faut-il disposer d'une moto russe et que celle-ci soit en panne. La probabilité en est il est vrai assez faible, encore que le fait de remplir la première condition (posséder une moto russe), accroît considérablement la seconde (qu'elle soit en panne). Vous avez déjà vu rouler une moto russe, vous ? CQFD.

 

Le fait est que le groupe russe Motorama (attention, vous allez, en direct, voir un chroniqueur de disques se raccrocher aux branches de son entrée en matière) n'aura sûrement pas besoin d'avoir recours au Dr Dia ou au Pr Wemba (exemples non contractuels), tant la carrière du groupe de Rostov-sur-le-Don semble lancée comme une balle. Ce qui n'était pas gagné quand on connaît, vu d'ici, la réputation de Rostov-sur-le-Don en matière de rock indé. Quelle réputation ? Ben voilà, justement. A preuve le superbe Calendar que le label bordelais Talitres – l'un des plus audacieux défricheurs de l'hexagone, puisqu'on lui doit les découvertes de The National, The Organ ou Ewert & the Two Dragons – se fait un plaisir de sortir dans nos contrées.

 

Cold Wave

Au début de sa carrière, Motorama est parti sur des bases assez proches d'une cold-wave très marquée par le fantôme de Joy Division, une esthétique post-industrielle qui colle parfaitement avec l'idée que l'on pourrait à priori se faire de cette ville perdue de l'ex-Grande Russie/URSS. La faute aussi à la voix tout en gravité de Vladislav Parshin, rappelant aussi bien Ian Curtis que Sivert Hoyem, incantateur en chef des Norvégiens de Madrugada, ou Matt Berninger de The National (La Sainte Trinité des barytons rock en quelque sorte, ce qui vous pose son chanteur).

 

Alors Manchester/Rostov même combat ? Pas vraiment. En réalité, celle que l'on surnomme « La Porte du Caucase » est l'une des villes les plus prospères de Russie, qui plus est chargée d'Histoire, comme on dit dans « Le Guide du Routard » ou dans les émissions de Stéphane Bern sur les résidences de têtes couronnées sans tête. Il fallait donc voir là davantage l'obsession de jeunes gens modernes élevés dans le fantasme d'une certaine idée de l'Angleterre, si éloignée, avec des envies d'ailleurs à l'avenant.

 

The (Inter)National

Car le fait est que, depuis, Motorama a aussi pas mal circulé dans un maelström d'influences anglo-saxonnes bien plus « éclairées » au sens propre du terme. On assiste ainsi d'entrée à quelques illuminations tout droit sorties de l'arbre à tubes Sarah Records, ses guitares carillonnantes et ses basses légères et mélodiques à la Fied Mice (Image, Young River), voire et c'est en un sens, une marque logique de la théorie de l'évolution rock, de la moulinette électro-rock (surtout rock en l'occurrence) New Order via quelques nappes de synthé, pour l'atmosphère. Mais réduire Motorama, particulièrement ce vrai-faux premier album – le premier n'ayant pas (encore) été commercialisé –, à la somme de ses influences serait par trop réducteur.

 

Ce groupe adepte du « Do It Yourself », qui éditait jusque-là lui-même ses propres CD, a su bricoler sa moto rock russe de manière à la faire démarrer sur des bases plus personnelles et à parcourir des espaces autrement plus aérés qu'une cave dépourvue d'oxygène. C'est sans doute ce qui a fini par attirer le chaland, qui n'hésitera pas à secouer ses hanches à l'occasion (White Light), et le label – le monde n'ayant pas besoin d'un Interpol de plus. Avec ce je ne sais quoi d'âme slave comme sur le magnifique Rose in the Vase – sans doute le meilleur morceau de The National non écrit par The National, au point que l'on ait envie, au vu du passé russe, de rebaptiser le groupe The International. Finalement, le fait que ce groupe ait parcouru tout ce chemin depuis Rostov-sur-le-Don avec une moto gonflée à bloc n'est guère étonnant. Ce groupe en a un, de Don, peu importe qu'il soit de Rostov ou d'ailleurs. Stéphane Duchêne

 

 


<< article précédent
Dead Can Dance à Fourvière le 27 juin 2013