À proximité du poème

Parfois l'on franchit le seuil d'une galerie et la poésie d'une œuvre inconnue, soudain, vous emporte… Celle en l'occurrence de Philippe Hélénon qui expose chez Pome Turbil un ensemble de peintures abstraites récentes. Jean-Emmanuel Denave


En octobre dernier, on apprenait la disparition de Jacques Dupin, le poète de Grésil, d'Embrasure, de Ballast… Autant de titres évoquant un univers âpre, minéral, elliptique où, «expérience sans mesure, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours le manque et le tourment qui la suscitent».

Les couches successives d'acrylique et de pastel gras de Philippe Hélénon (né en 1954, vivant à Paris) portent, selon nous, l'ombre (et la lumière de ce corps dit «clairvoyant») de Dupin : vibrations d'écorce, d'échancrures abruptes, de paysages denses, de lignes noires qui sautent au regard comme des sensations à la gorge…

À son sujet, le critique d'art Gilbert Lascaux écrit ceci : «Dans l'atelier de Philippe Hélénon, les modèles sont les fers (clou, lame, couteau, serrure, faucille, hache, etc…), les ardoises ramassées près d'une grange ruinée, les graines, les plantes, un drap suspendu. Il peint les choses «sur le motif». Il peint de multiples portraits des choses : le portrait d'un fer de lance, celui d'un siège-trône, celui d'un nœud de bois, celui du drap blanc… À la manière du poète Francis Ponge, il choisit «le parti pris des choses». Le poète et le peintre veulent scruter les objets, en tirer qualités et jouissances».

Brisants

Jacques Dupin, Francis Ponge, cela fait déjà beaucoup de poètes «accrochés» à la trame abstraite des œuvres sur papier de Philippe Hélénon. A ses pulsions rectangulaires aux couleurs rougeâtres comme des plaies rimbaldiennes, à ses rideaux gris-bleu tirés sur un décor inconnu, à ses masses rondes roulant sur des horizons indéterminés, à ses visages sans traits qui nous fixent indéfiniment.

Mais nous pourrions en citer encore beaucoup d'autres, dont la plupart, d'ailleurs, ont collaboré avec l'artiste : Jacques Réda, Michel Butor, Bernard Noël ou encore Yves Di Manno. «vent dans le noir / : masse unanime / : ciel absent» écrit ce dernier dans Embuscade en vis-à-vis d'une œuvre de Hélénon.

Manière de dire qu'il souffle chez celui-ci une bourrasque qui, érodant les corps et les visages, les pierres et les formes, les verticales et les horizontales, ne laisse sur le papier qu'un minimalisme, aussi poignant que tenace, de traces, de plans, d'angles, de lignes brisées et de figures suggérées.

Philippe Hélénon
à la galerie Pome Turbil jusqu'au samedi 16 février


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