Il voyage en solitaire

De retour sur scène à l'occasion d'un "Intime tour" pour lequel il se prépare d'arrache-pied, en attendant un album pour l'automne, Christophe, 50 ans de carrière, est toujours tel qu'en lui-même : insaisissable et perché. Avec cet éternel temps de retard sur les choses que peuvent se permettre les types en avance dans leur tête. Stéphane Duchêne


Programmer une interview avec l'interprète d'Aline, c'est tout un poème : Les Mots bleus et Les Paradis Perdus réunis, l'impression d'être effectivement à la poursuite du Dernier des Bevilacqua. Le rituel veut qu'on lui envoie un SMS le jour dit, une demi-heure avant l'heure H. Pour le réveiller, car Christophe est un oiseau de nuit, lui rafraîchir la mémoire ou lui permettre de se préparer, on ne sait guère.

 

Le soir convenu pour l'entretien, déjà compliqué à caler, il nous éconduit, bredouille – Christophe bredouille toujours un peu, cherche ses mots (bleus) – qu'il répète avec des potes, qu'ils sont en train de tout chambouler, que s'il ne finit pas ça va être le bordel.

 

On l'entend à peine, il parle bas et comme du fond d'une grotte, demande de rappeler le lendemain à dix-neuf heures. Un rendez-vous qu'il honore d'un texto qui vaudrait presque paroles d'une de ses chansons : «un petit contre-temps dû au temps – au shooting perdu sur des Red Shoes – je serai chez moi à 21hrs, ça va ?». Une fois les mots replacés dans l'ordre, oui, ça ira – en partie parce qu'on aimerait être capable d'envoyer des textos contenant des phrases telles qu'«au shooting perdu sur des Red Shoes». Un autre message suivra : « 21h30 - désolé ».

 

Et quand enfin on l'a au bout du fil, après un «qui est à l'appareil ?» désespérant, il rebredouille : «Enfin, j'arrive à vous attraper». Ah, en fait c'était nous. On croyait lui courir après, il était juste derrière nous. Désinvolture showbiz de sa part ? Non car Christophe se souvient dans les moindres détails de notre dernière entrevue réalisée dans les mêmes conditions trois ans auparavant et de chacun des sujets évoqués. Tout en s'excusant de n'avoir aucune mémoire et de répéter «toujours les mêmes trucs».

 

Intime tour

Présentement, il le dit et on le sent, Christophe est un peu schlass : « en ce moment, je me lève à 7h30 pour faire des radios, je bosse dix-huit heures par jour et je me dis qu'à mon âge je ferais mieux de me reposer », lâche-t-il usé par la préparation de cette tournée qui nous amène à nous ré-intéresser à son cas : cet Intime Tour qui le conduira dans une dizaine de salles et théâtres en France. L'idée : Christophe en solo au piano reprenant ses classiques - «parce que les derniers morceaux sont injouables». «Idée de la prod'», qui le rend aussi enthousiaste que dubitatif.

 

Car il y a un hic de taille : Christophe est «un mec de synthé», il ne différencie pas un si bémol d'un fa dièse. Pour l'occasion, le piano, il l'apprend – sa prof attend à côté, qu'il ait finit de nous parler, il interrompra l'interview d'un coup pour ne pas la faire patienter : «Comme je ne suis pas pianiste, cette tournée m'oblige à apprendre beaucoup de choses. C'est très intéressant, c'est très bénéfique, mais c'est très dur. Je suis en train de gamberger, de chercher des idées, c'est ça qui m'épuise, parce que maintenant eh ben, il faut le faire. Je ne sais pas si c'est intéressant pour les gens qui savent qu'en principe chez moi tout est assez précis (et précieux) mais pour des touristes qui ne me connaîtraient pas, voyez-vous, le déplacement vaudra peut-être le coup. Je ne sais pas si je serai prêt pour les concerts... mais en tout cas j'y serai quand même».

 

Designer de sons

A 67 ans, celui qui déformait des bolides par la seule force de la vitesse avant de se voir retirer le permis est toujours prêt à se jeter dans le vide. Musicalement, il l'a toujours fait. De la période yé-yé, il ne fréquente plus qu'Adamo, «parce que c'est un grand» – ensemble, ils ont enregistré en 2010 le très beau Jours de Lumière –, préfère la compagnie d'une nouvelle génération à large spectre, de BB Brunes à Cascadeur, avec lesquels il prépare des «trucs», ravi, sans doute un peu flatté aussi, d'être «aimé par des mecs qu['il] aime bien». Christophe qui vient de «ne pas fêter» ses 50 ans de carrière, ne regarde pas en arrière, s'idéalisant locataire d'un présent perpétuel enveloppé par cette nuit chérie où le temps s'arrête.

 

Devant, ça oui, il voit loin, déjà tout à son prochain album, maquetté et qu'il espère pour septembre. Un album qui ferait la part belle aux mélodies : «c'est un miracle, je ne sais pas comment j'ai fait. J'ai dû être inspiré. Des mélodies toutes simples, ça va être vachement bien». La minute d'avant, il confiait pourtant, péremptoire : «aujourd'hui ce n'est plus la mélodie qui l'emporte, parce que les mélodies franchement, on les a toutes entendues. Ce qu'il faut être, c'est un très grand designer de sons». Il y a des types comme ça, tellement en avance sur eux-mêmes, qu'on les croit à la ramasse. Tellement en avance sur leur temps, que quand on croît les suivre, en fait, ils sont à nos trousses, insaisissables et saisissants.

 

Christophe
Au Radiant-Bellevue (Caluire)
Les samedi 12 janvier


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