Lepage et la page blanche

On attendait beaucoup de "Jeux de cartes 1 : Pique". C'est peu dire qu'on a été déçu par ce premier volet d'une tétralogie consacrée aux rapports entre Orient et Occident, qui voit se gripper la machinerie théâtrale que maîtrise habituellement si bien le génial metteur en scène Robert Lepage. Compte-rendu. Nadja Pobel


Qui trop embrasse mal étreint. Le tant attendu spectacle de Robert Lepage, Jeux de cartes 1 : pique, a été la cinglante et triste démonstration de cette maxime lors de sa première représentation à Lyon ce 9 janvier. Installée au Studio 24 plutôt que dans les Célestins qui le programment, cette pièce à "360°" avec plateau central circulaire et public sur quatre côtés est certes une preuve de la maîtrise de la machinerie théâtrale de Robert Lepage. Mais qui a eu la chance de voir les sublimes Face cachée de la lune ou Projet Andersen le savait déjà. Problème ici : cet outil ne sert aucun propos. Car à vouloir traiter trop de sujets, Lepage n'en approfondit aucun, la très faible écriture de l'ensemble (pourtant raccourci de 40 minutes depuis sa création à Madrid) ne constituant par ailleurs pas un socle assez solide pour que la troupe puisse y trouver matière à progresser.

Désert

Le premier volet de cette tétralogie entend en effet traiter de la deuxième guerre d'Irak en mettant en vis-à-vis Las Vegas et Bagdad, la liberté des femmes américaines et la servitude subie par les musulmanes. Sur scène, on discerne bien quelques esquisses (quand ce n'est pas de la caricature) de femmes séductrices/séduisantes ou soumises, mais rien qui ne permette d'établir subtilement un parallèle entre ces deux mondes. Les personnages des GI's semblent eux avoir été abandonnés en cours d'écriture. Quant à la multiplicité des langues utilisées (anglais, espagnols, français et québécois), jamais pertinente, elle ne semble être qu'une résurgence des nombreux pays co-producteurs. A force de s'engager dans de tels shows à travers le monde, il semblerait que le génial (et le mot n'est pas galvaudé le concernant) metteur en scène se soit perdu. Sa machinerie n'est plus son atout mais presque son boulet. Les nombreuses chausse-trappes découpées dans la scène sont ingénieuses mais rapidement contraignantes et empêchent de donner du rythme à un spectacle qui se traîne et finit par tourner en rond jusqu'à une fin qui n'en est pas une. Bref, ce travail est précisément tout le contraire des précédents chefs-d'œuvre du polyglotte et infatigable voyageur, qui avait d'abord pour force de savoir raconter des histoires (celles de Buzz Aldrin ou d'Andersen en l'occurrence), y compris multiples. Ici tout est rouillé. Que Robert Lepage n'ait pas grand-chose à raconter sur le sujet choisi n'est pas grave. Qu'il en fasse un spectacle l'est plus. Reste à voir si pour les trois prochains opus (cœur, carreau, trèfle) de cette épopée, il retrouvera l'inspiration.

Jeux de cartes 1 : Pique
au studio 24 de Villeurbanne (programmation des Célestins), jusqu'au samedi 19 janvier


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