Les plis du temps et du vivant


Selon l'humeur, le point de vue, la distance, la grande Porte de Jérémy Gobé, méandre de tissus plissés, enroulés sur eux-mêmes et accrochés à une vieille porte, peut apparaître comme une œuvre simplement esthétique ou un peu monstrueuse, mouvante, inquiétante. Les mêmes sensations ambigües naissent à la vue de ses enroulements de tissu débordant d'un miroir. Il y a manifestement quelque chose d'organique et d'étrange dans ces "sculptures" du jeune artiste (né en 1986 à Cambrai, résidant à Paris et lauréat du prix bisannuel Bullukian 2011), derrière leur aspect d'abord un peu décoratif et "bien léché". Ailleurs, les œuvres vont jusqu'à proliférer au sol, enfermant dans leurs cocons de laine quelques vêtements chargés de symboles, donnés par des Lyonnais. Ou à se poursuivre en dessins que l'artiste réalise après ses sculptures, afin de réfléchir encore à leurs formes bizarres, les prolonger ailleurs peut-être… Dans son travail, Jérémy Gobé redonne vie à des matériaux (chutes de tissus), à des mémoires (celles de sa famille ou celles de personnes rencontrées), à des histoires, tristes parfois, comme celles de fermetures d'usines textiles. On le voit ainsi, sur une vidéo, exécuter une performance devant l'une d'elles, tordant au maximum des bandes de tissu de trente mètres de long qui deviendront à la fin une sculpture disgracieuse et endolorie. Redonner vie passe aussi pour lui par des rencontres avec des ouvriers licenciés, des anonymes ou d'autres artistes, comme pour cette pièce réalisée à partir d'un travail inachevé de Simone Pheulpin. Un art du prolongement qui résonne avec ces mots de Beckett : «Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer».

Jean-Emmanuel Denave

"Monument aux mains", Jérémy Gobé
à la Fondation Bullukian, jusqu'au samedi 16 février


<< article précédent
Syndrome de Stockholm