La modernité sans se presser

La nouvelle exposition du Musée Paul-Dini sonde l'entre-deux-guerres à Lyon, période durant laquelle, peu à peu, avant-gardes et modernité artistiques se sont imposées. Si la ville n'était pas, alors, en avance sur son temps, on pouvait cependant y voir de très belles choses. Jean-Emmanuel Denave


Dans ses Écrits sur l'art, Baudelaire lâche, à propos de Lyon, cette petite bombe : «Ville singulière, bigote et marchande, catholique et protestante, pleine de brumes et de charbons, les idées s'y débrouillent difficilement. Tout ce qui vient de Lyon est minutieux, lentement élaboré et craintif. On dirait que les cerveaux y sont enchifrenés». Quand on sait que Baudelaire fut aussi le chantre de la modernité artistique (dont il donna notamment cette définition : «Dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, tirer l'éternel du transitoire»), on ne peut pas dire que les relations entre Lyon et la modernité soient parties sur de bonnes bases à la fin du XIXe siècle ! Ceci n'est pas pour décourager le Musée Paul-Dini et sa directrice Sylvie Carlier, qui s'interrogent «sur la place qu'a tenue la ville de Lyon sur la scène de l'art moderne dans les années 1920-1942», tout en précisant que «les cultures avant-gardistes parisiennes s'imposent avec retard» dans la capitale des Gaules.

Éloge de la lenteur

L'exposition s'ouvre sur un rappel chronologique et un point rapide sur la production artistique au tournant du XIXe (on y verra en particulier un intérieur et des paysages de Louis Carrand). Elle se poursuit en alternant des salles consacrées à des figures clefs de l'époque (le peintre et passeur d'origine lyonnaise Albert André, le néo-impressionniste Paul Signac qui soutint les salons lyonnais, les photographes Théo Blanc et Antoine Demilly…) et des salles thématiques (le paysage, la nature morte, le portrait…). On se laisse embarquer avec beaucoup de plaisir dans cet accrochage simple et varié, picorant ici et là des éléments d'histoire locale et prêtant attention, surtout, à nombre d'œuvres de qualité. Il y a bien sûr la présence de quelques "grands" : deux intérieurs de Pierre Bonnard, fascinants dans leur manière de dissoudre les présences humaines parmi leurs atmosphères orangées ; les natures mortes ou les paysages implacables de Suzanne Valadon ; une jolie petite marine pointilliste de Signac ; un touchant portrait de femme d'André Derain qui pour le coup n'a rien de très moderne… Mais la visite est aussi l'occasion de découvrir des œuvres d'artistes moins connus comme les beaux nus sombres d'Étienne Morillon, les femmes lascives et abandonnées d'Émilie Charmy, les élucubrations symbolistes ou érotiques de l'inclassable Pierre Combet-Descombes… «N'est-ce pas une chance, notait en 1924 le critique Marius Mermillon, qu'un mouvement nouveau nous parvienne par lente diffusion, filtré par la durée et la distance ?». On pourrait sans doute se poser la même question aujourd'hui.

Lyon et l'art moderne
jusqu'au 10 février au Musée Paul-Dini à Villefranche-sur-Saône

Zoom sur une oeuvre de Maurice de Vlaminck


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