Quand la ville gronde

Ne jamais employer l'expression "envoyer du gros". C'est l'une des règles élémentaires du journalisme musical. Comme toutes les règles, elle a son exception : on peut y recourir pour parler de bass music, cette frange souterraine et tonitruante des cultures électroniques, et des événements qui la promeuvent, à l'image de l'impeccable Rumble Festival. Benjamin Mialot


La scène se déroule au printemps 2003, à Clermont-Ferrand. Ce soir-là, la Coopérative de Mai accueille Fred Avril, compositeur de musiques de film dont la carrière pop fut aussi honnête qu'éphémère. Sa prestation, elle, n'a rien d'extraordinaire et le public le fait savoir en éclusant bruyamment ses bières. Soudain, il se saisit d'un potard géant et le tourne d'un cran. Un monstrueux bourdonnement s'échappe des enceintes. Silence dans la salle. Les vêtements se décollent des peaux comme des masques peel off. Il le tourne d'un cran supplémentaire. Les cages thoraciques résonnent au point qu'on ne s'entend plus battre du cœur. Encore un cran. La situation devient limite supportable. Avril reprend son set. Soulagement et déception dans l'assistance, encore saisie de cette impression unique d'être à la fois en pleine conscience de soi et sur le point d'exploser tel un œuf dans un micro-ondes. Impression qu'une seule musique nous aura fait éprouver depuis : la bass music.

Marée de basses

Autant dire que nous n'étions pas les derniers à nous réjouir lorsque, en 2011, est né le Rumble Festival, événement tout entier consacré à cette appellation d'origine incontrôlable – elle recouvre des genres aussi divers que le dubstep, le dancehall ou la drum 'n' bass, se propage par voie virale et, du fait de son dynamisme outre-Manche, s'épelle également UK bass. À voir le succès de l'édition 2012, dont chaque soirée a affiché complet, nous n'étions pas les seuls. Totaal Rez, l'association organisatrice, n'en a pas pris le melon pour autant.

Cette année en effet, toujours pas de "wub wub wub" pour casques Skull Candy à l'affiche des cartes blanches – données à cinq des plus défricheuses structures locales, à savoir CLFT, Airflex Labs, Bebup, Dolus & Dolus et Jarring Effects – et nuits composant sa programmation. Mais des prodiges de la trap music, cousine électronique du très visqueux et très déglingué rap sudiste (Hudson Mohawke et Rustie), des mixeurs au flair infaillible (Teki Latex et Orgasmic, capitaines de la Sound Pellegrino Thermal Team), un protégé de Flying Lotus, le Manitou du hip hop expérimental (Jeremiah Jae), un rénovateur de la techno de Detroit (Darling Farah), des pousse-à-la-conso-de-taz (Dismantle et son hardcore ludique, le pionnier de la drum'n'bass Andy C)... Bref du pointu, du festif et du puissant. Du gros quoi.

Rumble Festival 2013
du mercredi 6 au dimanche 17 mars


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