Au hasard Balthazar

Pour leur deuxième album, les Belges de Balthazar reviennent des "Rats" pleins les poches sur un navire qui prend magnifiquement l'eau. Où l'évidence tubesque des débuts laisse place à des mélodies coincées sous la botte acoustique, entre mélancolie débraillée et beauté détruite à la Léonard Cohen. Stéphane Duchêne


Il y a sur Rats, le deuxième album de Balthazar, un titre, The Man Who Owns the Place, qui ramène doucement à la mémoire le Leonard Cohen de Memories, en mode Plat Pays et débarrassé de ses afféteries spectoriennes, à vrai dire plus Gainsbourrien, période Melody Nelson.

Cela se voudrait sans relief, au sens premier du terme, sans soleil mais laissant tout de même entrevoir la lumière à travers le quartz de violons grinçants et des chœurs de micro-particules en suspension, juste assez pour qu'on ne puisse espérer en voir davantage.

Si on ajoute la voix à la traîne de Jinte Deprez, il y a de quoi vous foutre le bourdon en écoute prématurée de matins mal peignés.

Pas mieux sur le titre suivant, Lion's Mouth (Daniel), évocation à peine indirecte du prophète Daniel, un type tellement sympa que les lions de Darius ont refusé de le manger et qui évita la lapidation à une femme adultère, une certaine Suzanne qui pourrait presque être celle de Cohen si les deux avaient couché ensemble. Mais quand certains amours prennent un évangile à écrire, d'autres s'invoquent et se goûtent du bout des lèvres : «I did not want to write anything / I just wanted you to taste the ink / I'll shut the lion's mouth if you let me.

Beautiful Losers

Comment imaginer dès lors que tout ne se recoupe pas ? Parce que ce n'est pas le cas. La musique de Balthazar ne recoupe pas grand-chose – ils se refusent d'ailleurs quasiment à parler "influences" – ou alors au hasard de grands chemins désolés où, tel l'exilé fiscal, leur pop millionnaire se balade en guenilles pour ne pas éveiller les soupçons : guitare mal embouchée qui crisse sur la rythmique et ripe sur la mélodie, volonté de la jouer en sourdine quand on pourrait prétendre à l'emphase.

A l'inverse du Principe de Peter, qui veut qu'on réussisse à hauteur de son niveau d'incompétence, il y a des talents qui passent à côté d'une carrière parce qu'ils n'aiment pas se lever tôt ou parce qu'ils préfèrent regarder les nuages. C'est à ce genre cohenien de Beautiful Losers qu'appartiennent les Balthazar. Sauf qu'il n'est pas dit que, comme le Canadien – qui attendit tout de même d'approcher la quarantaine pour se dévoiler, ils n'aillent pas plus loin que tout le monde. Il suffit pour cela d'écouter, simple suggestion, l'ahurissant Any Suggestion et ses violons phénixiens tirés des cendres : tout commence au pas lourd d'une Babylone finissante pour s'achever sur l'espoir d'un envol vers tous les possibles.

Balthazar
Au Kao, mardi 19 mars


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