Une ville sans chat

Retour aux choses simples cette semaine avec une exposition du photographe Stéphane Ros. Quelques images, quelques mots, de la tristesse et beaucoup de mélancolie. Jean-Emmanuel Denave


«Je ne sais pas pourquoi la route / Qui me pousse vers la cité / A l'odeur fade des déroutes / De peuplier en peuplier / Je ne sais pas pourquoi le voile / Du brouillard glacé qui m'escorte / Me fait penser aux cathédrales / Où l'on prie pour les amours mortes». Barbara chante Brel dans nos oreilles quand, tout à fait par hasard, nous découvrons les photographies de Stéphane Ros qui paraissent le décalque de cette chanson. Hasard objectif dirait André Breton.

L'objectif du jeune photographe lyonnais, pour sa série de petits formats en noir et blanc Chaos silencieux, s'est quant à lui baladé parmi les rues de Lyon, entre chien et loup, à l'heure où il n'y a plus un chat. Il en a saisi (avec un important travail de laboratoire sur les ombres et les contrastes) des fragments de ville, des trouées de lumière sur des échafaudages nus, des bagarres dérisoires d'arbres fiers entre deux immeubles noirs, des bouts de grilles ou de palissades, des nasses de manège en contrejour, quelques tombes aussi. Trente-huit mélancolies simples.

La fêlure

«J'eus un après-midi de mars l'impression d'avoir perdu absolument tout ce que je désirais, écrit F.S. Fitzgerald dans La Fêlure, et c'est le même soir que je me mis à poursuivre le fantôme de la femme qui, pendant quelque temps, enleva son importance à tout le reste». Il est beaucoup question aussi de fêlures dans les images de Stéphane Ros, de failles, de disparition, d'absence. Avec, parfois, la vie qui renaît fragilement dans la lézarde d'un trottoir.

Les plus sourcilleux d'entre vous nous reprocheront peut-être de citer abusivement Barbara et Fitzgerald, qui parlent d'amour, alors que l'artiste place davantage ses photographies sur le plan d'un combat entre la nature et l'urbain. Mais en l'occurrence les images exposées sont ponctuées d'extraits d'une nouvelle d'Eric Chatillon qui évoque une rencontre amoureuse, inspirée des œuvres de son ami.

Quand on écrit sur des images, on ne parle donc ni forcément ni toujours d'elles. Ce qui nous servira ici exceptionnellement de credo… et d'alibi pour retrouver Barbara : «Je ne sais pas pourquoi ces rues / S'ouvrent devant moi une à une / Vierges et froides, froides et nues / Rien que mes pas et pas de Lune».

Chaos silencieux
A la bibliothèque municipale du 1er arrondissement, jusqu'au jeudi 28 mars 
Stéphane Ros et Eric Chatillon, Chaos silencieux, Editions Au Fil du Temps, 2012


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