Les cris et l'écran

Pour sa sixième édition, le festival Hallucinations collectives propose, en dehors de sa compétition, un revival de ce qui fut un temps une bible cinéphilique, feu le magazine "Starfix". De la carte blanche à Nicolas Boukhrief à la redécouverte du cinéaste Michele Soavi et de films cultes des années 80, une semaine de cinéma authentiquement hallucinant. Christophe Chabert


Il n'était pas simple d'être cinéphile dans les années 80. La VHS était en VF, et les films en salles proposaient une maigre alternative entre l'explosion du high-concept movie et un cinéma d'auteur fatigué. Même les revues de cinéma se cherchaient un nouveau souffle, entre la constance pépère de Positif, les couvertures racoleuses de Première et des Cahiers du Cinéma convalescent de leur période Mao.

Au milieu de tout cela, il fallait une contre-culture et un organe qui la synthétisait : ce fut Starfix, monté par une bande de passionnés parmi lesquels Christophe Gans, Christophe Lemaire, Nicolas Boukhrief, François Cognard et Doug Headline — le fils de Jean-Patrick Manchette. Des gens nourris au cinéma de genre des années 60 et 70, aux comics et à la rock culture, qui avaient l'ambition de faire bouger des lignes figées, d'abord dans la critique puis, la revue mise en berne, dans le cinéma lui-même.

L'extrême et les extrêmes

Pour sa sixième édition (et sa troisième sous ce nom), Hallucinations collectives célèbre, consciemment ou inconsciemment, la mémoire Starfix. En invitant Nicolas Boukhrief et en lui laissant carte blanche (lire l'encadré), en choisissant au sein de son jury Christophe Lemaire mais surtout en jalonnant ses sections thématiques de films qui furent ardemment défendus dans la revue — et qui montrent son éclectisme ainsi que celui, par ricochet, du festival.

Deux exemples traduisent ce goût de l'extrême et des extrêmes. D'abord Henry, portrait d'un serial killer, dont Starfix se fit un des ambassadeurs alors que le film était bloqué par la censure américaine. Tourné pour une poignée de dollars dans une esthétique crue et déprimante, ce premier long signé John Mac Naughton suit le quotidien d'un homme banal, accueilli par sa sœur et son beauf Otis dans leur appartement sordide. Sauf qu'Henry tue des femmes, ni par plaisir, ni par intérêt, juste par pulsion. Forcément dérangeant, le film l'est d'autant plus quand Mac Naughton confronte la violence sans joie d'Henry à celle, pleine de jouissance, d'Otis, comme pour en montrer la frontière morale.

Henry, portrait d'un serial killer est une œuvre underground, à l'opposé du lyrisme visuel d'Elem Klimov dans Requiem pour un massacre. Cette évocation d'une page noire de l'histoire russe qui, durant la Seconde Guerre mondiale, vit les soldats nazis détruirent des villages entiers avec femmes et enfants, est aujourd'hui un classique reconnu dans le monde entier. À sa sortie, sabordé par un titre français putassier (la traduction du titre original est Va et regarde), Requiem pour un massacre avait été courageusement défendu par les rédacteurs de Starfix, loin du cinéma de genre qui avait au départ constitué le pilier de la revue.

Du bon usage du mauvais goût

D'une certaine manière, le cinéaste Michele Soavi — invité de marque de cette sixième édition — a effectué une trajectoire synchrone avec cette ouverture. Son premier film, Bloody bird, est un giallo hanté par l'ombre du maître Argento. Dès Dellamorte Dellamore, il se singularise par l'intelligence de sa mise en scène, ici au service d'une adaptation de BD (Dylan Dog) avec Rupert Everett en gardien de cimetière tueur de morts-vivants. Mais c'est Arrivederci amore ciao qui reste son œuvre la plus puissante : retrouvant l'esprit des polars de Fernando Di Leo ou Umberto Lenzi, il y ajoute une dimension visuelle époustouflante, transformant cette fresque sur le crime et la corruption italiennes en opéra de violence et de sexe d'un pessimisme absolu.

Soavi est aussi une découverte des rédacteurs de Starfix, tout comme Peter Jackson, que l'on ne présente plus mais dont il est bon de rappeler les origines. En l'occurrence, une Nouvelle-Zélande prolo où, le week-end, ce fan de film d'horreur a bricolé en 16 mm pendant trois ans une pochade gore irrésistible, Bad taste, dans laquelle des aliens débarquent et prennent forme humaine, dégustant la cervelle des autochtones à la petite cuillère. Le «mauvais goût» du titre se répand à tous les étages d'un film agressivement drôle où le futur cinéaste du Seigneur des anneaux faisait un doigt d'honneur à la bienséance.

Le "goût Starfix" (c'est ainsi qu'on disait à l'époque) sera donc omniprésent dans le festival (on n'a pas cité le superbe La Compagnie des loups de Neil Jordan ou le sidérant L'Enfant miroir de Philip Ridley, tous deux présentés dans la thématique "Évanescente innocence"), et peut-être même jusque dans sa compétition… Du dernier Tsui Hark au très attendu Berberian Sound Studio, qui évoque le giallo italien des années 70 à travers un studio de bruitage, en passant par le défrichage de nouveaux territoires (l'Indonésie avec Modus anomali ou l'Irlande avec Citadel), c'est l'héritage de cette certaine idée du cinéma que défend Hallucinations collectives. Grâce lui en soit rendu !

Hallucinations collectives
Au Comœdia, jusqu'au 1er avril


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