Maniaco-agressive

Après quelques livraisons faussement apaisées, Shannon Wright revient au Clacson avec la porte dans la main. Et un disque, "In Film Sound", qui confirme les tendances bipolaires de son rock, autant à l'os qu'à fleur d'âme. Stéphane Duchêne


C'est par un grand coup de pied dans la porte que débute le dernier album de Shannon Wright, In Film Sound. Une porte qui, à l'image de la pochette surgraffée du disque, ressemble à s'y méprendre aux toilettes, noires celles-ci, de feu le CBGB – où il n'était conseillé de se rendre qu'en cas d'extrême urgence combinée à une sérieuse anosmie.

Certes, on a connu l'éternelle jeune femme plus apaisée, lorsqu'elle collaborait avec Yann Tiersen, calmait le jeu (sans pour autant calmer le reste) sur Let in the Light et Honeybee Girls, reprenant même Asleep des Smiths avec l'évanescence qui sied à son sujet et à son interprète originel.

Mais dans la bouche de Shannon Wright, le miel finit toujours, on ne sait trop pourquoi (le sait-elle elle-même ?), par se transformer en vinaigre. Ce vinaigre avec lequel elle attrape les mouches (et les abeilles) pour mieux leur claquer le beignet d'un riff paralysant, d'une rythmique sourde, d'un cri qui tue. Comme si aussi, le fait de laisser entrer la lumière était une manière de l'emprisonner, de s'emprisonner soi-même (Captive to Nowhere, chante-t-elle).

Phases maniaques

Secret Blood, déjà, retrouvait à intervalles réguliers cet ADN mangeur de bonheur. Qu'on ne s'y trompe pas, si In Film Sound voit se succéder orages et accalmies relatives, ombres et brouillards, c'est qu'il a un fonctionnement non seulement binaire comme toute chose rock, mais surtout bipolaire : les phases maniaques, colériques, merdeuses et bravaches alternant avec les phases d'abattement et de tristesse infinie caractéristiques de cette maladie de l'âme (Bleed). Quand on n'est pas carrément à cheval sur une phase de transition (Mire).

Dans un précédent article, nous comparions la Wright, dans ses révoltes comme dans ses charmes, à la Claire Fisher de Six Feet Under. Aujourd'hui, In Film Sound bien en tête, on la renverrait volontiers à la Carrie Mathison d'Homeland, agent anti-terroriste de la CIA, midinette esseulée et paranoïaque. La ressemblance physique n'y est plus mais la colère qu'on ne parvient plus à garder rentrée affleure puis explose de la même manière. Comme le cri, la crise, d'une jeune femme d'autant plus habituée à son désespoir qu'elle ne sait que trop bien comment en allumer la mèche.

Shannon Wright + Boy & the Echo Choir
Au Clacson, lundi 15 avril


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