Les chansons d'amour


Difficile de passer à côté de la "Jacques Demy-mania" qui semble s'être emparée de la France depuis deux mois — et l'ouverture d'une grande exposition à la Cinémathèque Française. L'Institut Lumière embraye donc avec une rétrospective à base de copies amoureusement restaurées sous le regard vigilant de sa veuve Agnès Varda.

L'œuvre de Demy suscite toutefois des sentiments mitigés chez nous. Ses meilleurs films à nos yeux ne sont pas forcément les plus représentatifs — entendez, ceux qui ont fait sa réputation de cinéaste en-chanté. On pense notamment au sublime La Baie des anges : noir et blanc et cinémascope, noirceur du propos et violence des sentiments, mais surtout pas la moindre chanson dans ce mélodrame habité par une Jeanne Moreau magnifiée.

Le cinéma de Demy se nourrit, comme celui de ses voisins rive droite de la Nouvelle Vague, d'une passion pour les genres américains, avec en premier lieu les musicals. Il en donnera une lecture très personnelle avec Les Parapluies de Cherbourg — dont tous les dialogues sont chantés — puis Les Demoiselles de Rochefort — plus "classique" avec son alternance chanté-parlé. L'explosion de couleurs, les grands mouvements de caméra à la grue et, bien sûr, les numéros musicaux et chorégraphiques apportent un sentiment de joie et de liberté, mais les scénarios ont toujours un fond tragique — tragédie individuelle ou collective, avec l'ombre de la guerre d'Algérie qui plane au-dessus du récit.

La tentation de l'Amérique, Demy l'assouvit en allant y tourner le beau Model shop, puis Le Joueur de flûte — deux échecs, malheureusement. La dernière partie de son œuvre le voit revenir à ses premières amours pour des films contestables : il transforme Mai 68 en comédie musicale et en drame amoureux dans Une chambre en ville, relit le mythe d'Orphée avec tout le mauvais goût 80's et Francis Huster dans Parking, met en scène Montand entre réalité et fiction dans Trois places pour le 26

Demy a inventé un style, que beaucoup imitent pi(t)eusement — les versions parisianistes dépressives de Christophe Honoré en sont les plus grandioses caricatures — alors que c'est bien sa singularité qui force malgré tout le respect.

Christophe Chabert

Rétrospective Jacques Demy
À l'Institut Lumière, jusqu'au 7 juillet


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