L'amour fou

Deux heures trente qui passent comme une lettre à la poste : le "Cyrano de Bergerac" mis en scène par Dominique Pitoiset et interprété par Philippe Torreton est une réussite éclatante, qui redonne ses lettres de noblesse au théâtre de répertoire. Aurélien Martinez


Les plupart des grands textes, dont on nous assure à longueur de plaquette qu'ils sont toujours d'actualité (façon de justifier des choix souvent guidés par de simples soucis de remplissage – oui, Molière, Shakespeare & co déplacent encore les foules), sont de véritables machines à jouer. Les prendre tel quel aujourd'hui est une excellente manière de les transmettre au public.

Le metteur en scène Dominique Pitoiset livre ainsi un Cyrano de Bergerac savoureux car défendu par des comédiens investis, avec au centre un Philippe Torreton royal et magistral. Refusant le grandiloquent auquel certains interprètes de Cyrano nous ont habitué (dont l'inoubliable Depardieu dans le film de Jean-Paul Rappeneau), il donne à son personnage, ce grand amoureux qui se sacrifiera justement par amour, une humanité touchante, tout en accentuant avec panache son côté cabotin lettré. Une performance captivante.

Balcon 2.0

Car il y a dans ce spectacle une véritable envie d'attraper le public pour l'emmener dans les arcanes du très savoureux texte d'Edmond Rostand : une pièce vieille de plus de cent ans, à laquelle Pitoiset confère une oralité très contemporaine sans en dénaturer un vers – la scène du balcon, où Cyrano déclare sa flamme à Roxane en se faisant passer pour un autre, en est le meilleur exemple.

Il y parvient en situant l'action dans un hôpital psychiatrique (Cyrano est d'ailleurs une sorte de maniaco-dépressif) : un subterfuge qui autorise les inventions les plus saugrenues (comme la présence constante d'un juke-box sur le plateau) tout en évitant l'écueil de la proposition lourdingue en costumes et décors. On se retrouve alors face à un spectacle qui fascine littéralement l'assemblée, l'écoute de la salle pendant la dernière scène étant impressionnante le soir où nous l'avons découvert. Crions-le haut et fort : vive le théâtre quand il est généreux comme ça !

Cyrano de Bergerac
Aux Célestins, du mercredi 22 mai au samedi 1er juin


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La danse s’éclate