Amis public n°1

Féroce contempteur de la grandeur perdue de l'Angleterre, Martin Amis est l'un des plus grands écrivains britanniques de son temps. Il est aussi l'un des plus rares et sa venue aux Assises, de fait, un événement en soi. Stéphane Duchêne


Son père, Sir Kingsley Amis, faisait partie des "Angry Young Men", un courant littéraire emblématique de l'Angleterre des années 50. Est-ce donc par atavisme, ou parce que la réalité ne lui a jamais permis de faire autrement, que Martin Amis a toujours été, lui aussi, un homme en colère ? Atrabilaire, antipathique, volontiers réac mais au regard particulièrement acéré et sans concession sur la société anglaise - «Un Anglais n'a pas besoin de mentir», dit-il. C'est plus vrai que jamais dans son dernier livre, terrifiant et truculent : Lionel Asbo, l'état de l'Angleterre. Cet «état de l'Angleterre», Martin Amis le passe également en revue dans le documentaire proposé par Arte et présenté aux Assises en avant-première, L'Angleterre de Martin Amis, prévenant : «un portrait national exige des généralités».

Déshonneur aux vaincus

Ce sont pourtant les contradictions qui sautent aux yeux, sans doute amplifiées par le rapport compliqué qu'entretient l'auteur avec son pays, à la psyché façonnée, pense-t-il, par un climat insulaire, changeant et «masochiste». Soit un pays à la fois nostalgique et honteux de son passé impérial, sauvé moralement par le multiculturalisme mais, au contraire des Etats-Unis, incapable de l'assumer. Pas plus que son passage d'une société de classe hermétique à une société de l'argent roi et fou. Une nation fière d'avoir résisté à l'humiliation d'une invasion nazie mais en ayant payé le prix fort : «L'Angleterre a longtemps ressemblé à un pays vaincu, dit Amis. Ce qu'Orwell décrit dans 1984 est en fait la réalité de 1948». Or, pour l'auteur, l'hostilité et le sentiment de supériorité des Anglais vis-à-vis du continent résultent moins des certitudes d'une nation sans peur et invincible, déjà louée par John Milton en 1642 dans Aeropagitica, que d'un complexe... d'infériorité.

Compliqués les Anglais ? Un peu oui : des gentlemen réservés, sentimentaux et attachés aux valeurs du fair-play doublés d'ivrognes qui noient leur désespoir et leurs inhibitions dans de terribles soûleries, voire le hooliganisme, enfant taré de l'impérialisme. Ce que l'auteur explique par cet aphorisme : «la sentimentalité est la face cachée de la brutalité». Voilà tout Martin Amis inconsciemment résumé par lui-même : un sentimental qui dissimule son désespoir derrière l'ironie grinçante et violente d'une écriture dont le sadisme apparent traduit en fait le masochisme d'une Angleterre qui n'a de cesse de se punir.

Parcours d'une œuvre : Martin Amis
Aux Subsistances, samedi 1er Juin


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