Les Nuits de Thèbes

Au commencement âpre et foutraque, l'"Antigone" de Gwenaël Morin se révèle au fil du jeu captivante et juste, dans un décor naturel à couper le souffle : les ruines romaines surplombant l'amphithéâtre de Fourvière. Nadja Pobel


On a beau connaître la recette de Gwenaël Morin, elle déroute encore. «Pas de décor, pas de costume, c'était une putain d'idée», comme le chantait ironiquement Vincent Delerm. Dans son Antigone (d'après Sophocle), les costumes sont des vêtements basiques (nuisette, jupe) ; les quelques accessoires sont comme d'habitude composés de carton et de gros scotch ; les hommes sont joués par des femmes et vice-versa. Bref, la "patte Morin" est immédiatement reconaissable, y compris dans le choix du texte, un gros morceau du répertoire - Gwenaël Morin a pris l'habitude, hormis quatre Fassbinder récemment, de monter des chefs d'œuvres (Philoctète, Tartuffe, Lorenzaccio…) en lesquels il a, dit-il, «une confiance aveugle». Pari payant : avec la traduction simple et néanmoins très contemporaine (2004) d'Irène Bonnaud et Malika Hammou, le metteur en scène va à l'essentiel, une histoire familiale qui dégénère et se mêle à celle de la Cité.

Antigone, gone (de Lyon)

Antigone veut enterrer son frère Polynice auquel Créon, chef de la Cité et frère de sa mère Jocaste, a refusé des funérailles. Au cœur de cette quête de dignité qui met dos à dos les lois divines et universelles et les interprétations déviées qu'en fait la figure politique, un chœur se mêle aux acteurs et fait parler le bon sens, le bien et le mal. Cette troupe d'amateurs unis fait corps, effraie parfois quand elle s'adresse frontalement et de très près à l'assistance, mais produit son effet, implique. In fine, l'alchimie entre l'ancienneté de cette pièce (jouée ici dans un décor naturel incroyablement bien occupé qui donne l'impression d'"être" à Thèbes) et sa contemporanéité est indubitable, et promet pour la suite.

Car Gwenaël Morin entend continuer à travailler des classiques, au théâtre du Point du Jour dont il est directeur depuis le début de l'année, à raison d'un par mois : Don Juan, MacBeth ou La Mouette, au fil de trimestres consacrés à Molière, Shakespeare, Sophocle et Tchekhov. Défendant l'idée d'un théâtre ouvert à tous, Morin ne mettra aucun abonnement en place, encore moins de réservations, chaque pièce sera accessible pour 5€. Une autre façon de s'affranchir des codes.

Antigone
Dans les ruines romaines du théâtre de Fourvière, mercredi 12 juin


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Nocturne Résonances au Musée des Beaux-Arts