Quadrophenia, un film à la Mods


Les Who et le cinéma, pour beaucoup, c'est avant tout Tommy, opéra rock culte qui a plutôt mal vieilli. Mais c'est aussi ce Quadrophenia, passionnant à redécouvrir trente-cinq ans après sa réalisation, à la fois évocation d'une époque passée — le courant Mods, à son acmé dans les années 60 — et œuvre importante du réalisme à l'anglaise au même titre que les premiers Loach ou les téléfilms d'Alan Clarke.

Jimmy, le jeune héros de Quadrophenia, tente d'échapper à sa poisse sociale — coincé entre une famille qu'il ne supporte plus et un boulot merdique — en courant après un rêve dérisoire : intégrer les Mods et leur existence sexe, drogues, rock'n'roll et scooters customisés. Frank Roddam, le réalisateur, surveillé de près par Pete Townshend et Roger Daltrey, s'autorise un grand pont entre ce courant finalement éphémère et le punk qui alors faisait figure de culture dominante dans la jeunesse anglaise.

Quadrophenia n'est ainsi pas très loin de la démarche de certains cinéastes du Nouvel Hollywood : la musique entre dans le film comme dans Mean Streets de Scorsese, au détour d'un juke-box ou d'une radio, et le parcours de Jimmy, direction Brighton Beach et retour, fait penser à ces road movies en forme d'impasse comme Point limite zéro ou Easy rider. Le sommet du film reste cette épique baston en pleine rue où les Mods affrontent des rockers avant d'être laborieusement neutralisés par une police débordée. Impressionnante séquence que Roddam suspend le temps de déniaiser son héros dans une arrière-cour sordide, lui donnant un temps l'illusion d'un amour possible. Qui s'échouera au bord d'une falaise ô combien symbolique : horizon inatteignable pour une jeunesse au bord du précipice.

Christophe Chabert

Quadrophenia
De Frank Roddam (1979, Ang, 1h57) avec Phil Daniels, Mark Wingett, Sting…


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