Grand central

Après "Belle épine", Rebecca Zlotowski affirme son désir de greffer le romanesque à la française sur des territoires encore inexplorés, comme ici un triangle amoureux dans le milieu des travailleurs du nucléaire. Encore imparfait, mais souvent passionnant. Christophe Chabert


Gary (Tahar Rahim, excellent comme jamais depuis Un prophète) est en quête de stabilité professionnelle après des années de jobs plus ou moins louches. Il atterrit dans la Drôme et intègre assez vite une équipe d'ouvriers travaillant au cœur des centrales nucléaires. La communauté, masculine, virile et solidaire, obéit à des règles draconiennes qui visent à éviter la contamination par la «dose» radioactive. La contagion, pour Gary, sera d'abord amoureuse : il croise un soir la femme d'un de ses collègues, Toni (prénom renoirien qui fait écho au cadre, curieusement bucolique, dans lequel vivent ces prolos du nucléaire, des mobile homes en bord de fleuve) et une passion physique va naître presque instantanément entre eux.

C'est tout le projet de Rebecca Zlotowski : comme les courses de motos clandestines de Belle épine accompagnaient la quête existentielle de Léa Seydoux, le nucléaire est ici la toile de fond qui permet de renouveler un classique triangle amoureux, même si le scénario s'emploie à intriquer jusqu'à la folie les deux éléments, poussant Gary à mettre sa vie en péril pour espérer rester auprès de celle qu'il aime.

Une dose de romanesque, une dose de nucléaire

En termes de cinéma, les choses sont un peu différentes. Zlotowski réussit une peinture extrêmement précise et documentée du travail accomplit par ces hommes qui descendent dans les réacteurs comme des astronautes vont réparer des fusées en plein espace. Les codes posés avec autorité par Olivier Gourmet (parfait, comme toujours certes, mais ce n'est jamais inutile de le souligner) résonnent avec ceux que la cinéaste utilise dans sa mise en scène, du cinéma d'horreur au thriller, produisant quelques séquences terrifiantes et visuellement très inspirées.

En revanche, l'histoire d'amour est moins aboutie : les sentiments de Gary envers Karole ne sont jamais vraiment explicités sinon comme une donnée naturelle du récit, et Karole elle-même est un personnage mal défini, qui ne repose que sur le charisme de Léa Seydoux, dont le look garçonne hérité du dernier Kechiche colle mal à la féminité exacerbée du rôle.

Si les deux pans de Grand central ne dialoguent pas aussi bien qu'ils le devraient, la nervosité et l'authenticité avec lesquelles Zlotowski raconte son histoire tranchent avec l'ordinaire du cinéma hexagonal. Ce n'est que son deuxième film, mais il est déjà porteur de belles promesses.

Grand central
De Rebecca Zlotowski (Fr, 1h35) avec Tahar Rahim, Léa Seydoux, Olivier Gourmet, Denis Ménochet…
Sortie le 21 août


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Michael Kohlhaas