Le point sur Morin

Gwenaël Morin, à la tête depuis le 1er janvier du Théâtre du Point du Jour, est un homme de théâtre atypique : il se propose de créer quotidiennement, avec ses acteurs et des anonymes, les grands classiques du répertoire dans un théâtre dit «permanent». Rencontre. Nadja Pobel


Vous avez déclaré il ya longtemps que le théâtre ne sert à rien, ne rend service à personne et n'est même pas à la mode. Pourquoi en avoir fait votre vie ?
Gwenaël Morin : C'est vrai que ça ne sert rien, que ce ne soit pas à la mode est moins vrai. Il y a des espèces de phases où la branchitude s'épuise des biennales d'art contemporain et se ré-intéresse au spectacle vivant jusqu'à la prochaine décennie. Il y a des flux. Je voulais dire qu'un artiste est illégitime donc ne peut être à la mode, utile ou intéresser les gens a priori. Deleuze dit que l'artiste crée pour un peuple à venir, un peuple du futur, un peuple qui n'existe pas. C'est comme si l'artiste mettait au jour des évidences qui le deviendront a posteriori et si elles ne le deviennent pas, c'est que son œuvre aura d'une certaine manière échoué. C'est une espèce d'appel des contraires.

En 2003, vous jouiez déjà au Point du Jour avec un spectacle – Mademoiselle Julie - à la scénographie dépouillée. Qu'est-ce qui vous pousse vers cette esthétique ?
Le dépouillement n'est pas quelque chose que je recherche mais qui s'impose car je me mets dans des processus de travail urgents. Ce qui m'intéresse au fond c'est la ligne, le trait, la manière dont les choses sont construites. La manière dont elles sont habillées m'intéresse moins. La structure fondamentale, pour moi, c'est l'être humain et ceux qui sont ses ambassadeurs sur un plateau : les acteurs. On s'aperçoit que quel que soit l'âge, le sexe, l'expérience des acteurs, avec les œuvres de Shakespeare ou de Molière, il se passe quelque chose de beau, qui est indépendant des modes. Je veux voir jusqu'où on peut aller dans le fait de se débarrasser d'éléments sans pour autant perdre l'œuvre.

Pourquoi mêlez-vous autant les spectateurs à votre processus de création ?
Le travail est une forme de responsabilité partagée. Marcel Duchamp l'a très bien exprimé : quand il dit que c'est le spectateur qui fait le tableau, c'est une manière de dire que le phénomène esthétique n'est pas dans le spectacle ni la culture du spectateur mais dans la relation spécifique que l'un établit avec l'autre. C'est une expérience. Il faut donc multiplier les possibilités de rencontre avec l'œuvre au maximum.

C'est dans cette idée que vous avez lancé le théâtre permanent à Aubervilliers en 2009, après l'avoir expérimenté au Théâtre de l'Elysée à Lyon...
J'avais fait à l'Elysée un spectacle qui s'appelait Le Foyer le chœur qui était un peu l'origine du théâtre permanent. Pendant un mois, on a lu tous les jours pendant huit heures non-stop tout un répertoire de textes éponymes issus du domaine public. Il y avait une nécessité intérieure de faire du théâtre tous les jours et ce n'était pas possible dans notre contexte culturel. Ça ne m'allait pas du tout de faire du théâtre par intermittence. Je considère qu'une journée normale d'un homme de théâtre peut se décomposer (Vitez, Vilar le faisaient) en trois temps : la transmission (attention ce n'est pas de l'enseignement), les répétitions et le jeu sur le plateau. J'ai fait en sorte de pouvoir chaque jour faire les trois.

Vous montez toujours des classiques, c'est idéal pour l'Education Nationale…
Il y a une espèce de cynisme français qui consiste à ne pas aimer ce qui serait trop connu. Quand je monte ces textes ce n'est pas une manière de rejeter les autres. Si les journées étaient plus longues je m'intéresserais aussi aux auteurs contemporains. Mais si pour être contemporain il faut être vivant, montons tous Jean d'Ormesson ! Pour moi Sophocle est bien plus vivant que d'autres. Tartuffe, Electre sont des espaces publics symboliques, des lieux où tout un chacun peut éprouver sa liberté. Et j'ai l'impression qu'à chaque fois que j'étudie ces œuvres-là, elles recèlent quelque chose qui m'est très personnel. Elles me disent quelque chose de moi que je ne connaissais pas encore et qui m'est nécessaire pour avancer.

Le Point du Jour sera-t-il dédié uniquement à votre compagnie ?
J'ai souffert de ne pas avoir assez de temps pour travailler, et j'aimerais qu'ici il soit possible pour mes équipes de travailler sur le long terme. J'ai commencé à faire du théâtre en tant qu'assistant de Michel Raskine, on travaillait sur Prométhée enchaîné. Je n'avais jamais fait de théâtre professionnellement. Raskine et André Guittier ont soutenu mon travail intensément, même quand j'étais à Aubervilliers. Quelque chose m'a lié au destin du Point du Jour. Ca me parait assez beau de continuer à en écrire l'histoire. Et j'aimerais ensuite que d'autres puissent faire comme moi. Ceux qui se plaignent que je prends tout pourront à moyen terme tout prendre à leur tour. Je veux que des artistes puissent travailler dans ce théâtre pendant quatre mois plein pot et pas avec des résidences où il ne se passe rien.

Point du Jour, mode d'emploi

Le théâtre sera ouvert toutes les semaines du mardi au samedi à 20h avec présentation de spectacles. Entre septembre 2013 et décembre 2014 se succéderont des trimestres consacrés à Molière, Shakespeare, Sophocle puis Tchekhov. Chaque trimestre, trois pièces seront présentées pendant un mois. En septembre place à Dom Juan, en octobre Tartuffe et en novembre Le Misanthrope. La place est à 5€ sans réservation, et chacun peut participer à des ateliers de transmission gratuits de 10h à 13h.


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