Meilleur premier rôle

Entre le football et la musique, c'est une histoire d'amour qui finit systématiquement mal. Le Londonien Darren Cunningham est l'exception qui confirme la règle : cet ancien joueur de Premier League produit l'une des musiques (électroniques) les plus passionnantes de l'époque. Benjamin Mialot


Depuis qu'un certain Pierre Corneille a fait de l'impossibilité de choisir entre le devoir et l'amour le fondement de ses pièces, on qualifie de cornélien tout dilemme de cette nature et, plus largement, toute indécision un peu critique. Un sentiment que les amateurs de musiques électroniques vont éprouver plus souvent qu'à leur tour cette saison : rien qu'en se limitant aux clubs stricto sensu, on dénombre chaque week-end pas moins d'une quinzaine de soirées. De mémoire de compteur de bpm, on n'avait jamais connu sur Lyon une offre aussi foisonnante, aussi variée et, dans l'ensemble, aussi relevée. Revers de la médaille : tout se vaut plus ou moins. Sauf cette semaine. Car rien ne vaut Actress.

 

Merci Cunningham

Il faut dire que Darren Cunningham, le Londonien au regard d'acier qui se cache derrière ce pseudonyme depuis 2004, n'est pas le premier agitateur de popotins venu, même s'il excelle dans l'exercice – ses deux premiers albums, Hazyville et Splaszh, déjà plus exigeants que la moyenne, renfermaient tout de même quelques solides bangers. Déjà parce que le sien, c'est sous les couleurs du West Bromwich Albion Football Club qu'il l'a musclé, avant qu'une fracture du genou ne l'oblige à taper sur des pads plutôt que dans un ballon. Mais surtout parce qu'il n'est pas du genre à se focaliser sur les signes extérieurs de liesse (bras en l'air, pupilles dilatées...).

 

Ses yeux, c'est plutôt là où le regard ne porte pas qu'il les braque : dans les interstices de ses machines, dont il tire des sons d'une rarissime matérialité, dans le magnifique catalogue de musiques déviantes et oubliées du label Honest Jon's, dont il est l'un des plus belles trouvailles, et sur le Jardin d'Éden tel que l'a décrit John Milton au XVIIe siècle. Le Paradis perdu du poète anglais est en effet la principale inspiration du troisième et dernier album en date d'Actress, R.I.P., un chef-d'œuvre de syncrétisme (techno archaïque, electronica papillonnante, house spatiale, Darren sait tout faire), d'abstraction, de radicalité et de romantisme, qui évoque successivement le meilleur de Flying Lotus, Autechre et Pantha du Prince, et dont on espère depuis sa sortie qu'il a plus été conçu comme une charte révolutionnaire plutôt que comme un testament. Après un EP sorti sur son propre label (Werkdiscs) en janvier, la venue de son auteur au Sucre vendredi 20 septembre devrait achever de nous rassurer.

 

 

AF013 - Ed N'Legs – KiNK + Actress + Mush
Au Sucre, vendredi 20 septembre


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