Espace en voie de réapparition

Que sculpture et peinture soient par définition liées à des problèmes d'espace paraît une évidence. Que l'art contemporain reprenne la question à nouveaux frais est plus excitant et essentiel. Quelques-unes des expositions de la saison 2013-14 entament le sujet... Jean-Emmanuel Denave


C'est en général lorsqu'on perd quelque chose qu'on lui reconnaît sa pleine importance... Ainsi de l'espace qui, avec l'accélération et la vitesse chez Paul Virilio et le simulacre chez Jean Baudrillard, se serait, sous nos yeux contemporains, réduit à la portion congrue du pixel à la surface d'un écran. À l'heure de cette disparition problématique, l'Institut d'Art Contemporain axe toutes ses expositions et événements sur l'espace : Fabricateurs d'espaces, une exposition récente, son Laboratoire Espace Cerveau, la prochaine exposition consacrée à Manfred Pernice du 6 décembre au 16 février, artiste allemand interrogeant l'espace urbain.

L'occasion de saisir les enjeux du travail philosophique de Peter Sloterdijk, qui ne pose plus les traditionnelles questions «Qui  ? Comment  ?  Quand  ?» mais se demande «Où ?» se trouve l'individu humain. Et traque dans sa trilogie Sphères les espaces relationnels, les résonances, les lieux, les contacts, les espaces fragiles et poreux. Qui nous sont essentiels.

 

Poétique de l'espace

Qu'un responsable du programme Culture à l'hôpital se réjouisse que les expositions au sein des espaces de soin permettent de donner au cadre hospitalier une «meilleure image» a quelque chose d'inquiétant. Si l'art ne donne que dans l'effet de surface pour gommer les aspérités réelles des lieux, cela relève au pire de l'hypocrisie communicative, au mieux du décoratif et de l'enjolivement. Au mot d'ordre «avoir une meilleure image de soi», les artistes répondent normalement par : dissoudre, décaler, complexifier l'image de soi et du monde. A minima, l'art permet de percevoir l'espace autrement, voire de s'en emparer ou d'en réinventer les configurations socio-politiques.

 

C'est par exemple le travail de Laurent Mulot avec ses «Centres d'art contemporain fantômes» sans existence physique mais réduits à la pose d'une plaque et de deux gardiens dans les coins les plus reculés de la planète (au Plateau jusqu'au 5 janvier 2014). C'est aussi l'œuvre photographique d'un Georges Rousse imaginant des peintures en trompe-l'œil parmi des ruines de lieux désertés. C'est également la future exposition Motopoétique au Musée d'Art Contemporain, qui devrait entremêler vitesse, grands espaces et rapports de l'homme à la machine. Ou encore la prometteuse visite d'exposition menée par l'auteur de L'Homme spatial, le géographe Michel Lussault, au sein même de ce que Michel Foucault désignait comme un «contre-espace» : l'hôpital psychiatrique Le Vinatier.


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