Born again

Pour son premier concert rock, Le Sucre accueille les Canadiens de Born Ruffians, qui avec leur troisième album, "Birthmarks", renaissent à une forme plus raffinée de leurs intenables cavalcades pop. Stéphane Duchêne


Comment ne pas prendre en sympathie un jeune groupe qui, sur son premier album, cite dans le texte Kurt Vonnegut, l'auteur culte d'Abattoir 5 et du Breakfast du Champion : «Tiger got to hunt, bird got to fly / Man got to sit and wonder why, why, why / Tiger got to sleep, bird got to land / Man got to tell himself he understand». Témoignage de bon goût autant que d'intelligence. Mais aussi d'une certaine forme d'instinct animal. Peut-être trop présent, d'ailleurs. Manquant de retenue.

 

Comme pas mal de formations de la même (courte) époque (Clap Your Hands Say Yeah, Cold War Kids) Born Ruffians a eu une furieuse tendance à la surenchère, la construction hypnotique, le chant "hippistérique" et même carrément gueulard, les potards au taquet.

 

C'est qu'entre temps Arcade Fire était passé par là et avait sacrément monté le son, accéléré les cadences et rajouté un cran sur l'échelle de l'épique. C'était à qui courrait le plus vite, et c'est peu de dire qu'il y eut du claquage en série.

 

Permanent Hesitation

Qu'on ne s'y trompe pas, cela ne faisait pas moins de Red, Yellow & Blue l'un des albums démonte-pneu de 2008. Le suivant Say It, à l'accueil mitigé, montra qu'à trop vouloir jouer dans toutes les cours, du terrain vague expérimental d'Animal Collective à la quête du golden ticket tubesque ; qu'à abuser des excitants, on en devient urticant, jusqu'à l'auto-épuisement et autres inévitables tensions internes.

 

Le leader-chanteur Luke Lalonde s'accorda donc un salvateur break solo. Et prit sans doute le temps, comme le conseille Vonnegut, de s'asseoir et de «se demander pourquoi» – et comment – jusqu'à «comprendre». Et revoilà ces «sauvageons nés» pas nécessairement transformés mais transfigurés.

 

Avec ce que cela implique de baisse en pression : désormais nanti d'un clavier, l'ex-trio, sans faire sa révolution (Lalonde a encore tendance à l'emphase) aborde les choses moins frontalement, plus en souplesse (le groove de Permanent Hesitation, si peu raccord avec son titre), plus subtile sur une production qui laisse une "large" part à l'électro et chérit ses mélodies plutôt que de les malmener.

 

Après avoir réfléchi, comme se doit de le faire l'Homme vonnegutien, Born Ruffians a naturellement pris le parti de ne plus se prendre pour le «tigre chasseur» des débuts mais plutôt de faire comme l'oiseau en prenant plus que du recul : de l'élan et de la hauteur.

Born Ruffians + Griefjoy

Au Sucre, jeudi 3 octobre


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