Prisoners

Deux enfants kidnappés, un père prêt à tout pour les retrouver, un suspect tout trouvé, un détective tatoué et solitaire : les ingrédients d'un film noir très noir sur la contagion du mal signé Denis Villeneuve qui, après "Incendies", réussit haut la main ses débuts aux États-Unis. Christophe Chabert


Qu'y a-t-il dans les caves des honnêtes gens ? Des cadavres, des enfants martyrisés, mais aussi de la paranoïa sécuritaire et de la mauvaise conscience qui peut, à tout moment, refaire surface et transformer une grise mais paisible bourgade en succursale de l'enfer. Le labyrinthe de Prisoners — figure que le film utilise comme un motif de l'intrigue mais aussi comme modèle de narration — est sans issue, et c'est ce qui impressionne en premier lieu : Denis Villeneuve, pour ses débuts aux États-Unis, ne fait aucune concession rassurante au spectateur. Aidé par un scénario remarquable, il plonge aux confins de la noirceur humaine pour montrer comment le mal se propage et finit par tout gangrener.

C'est l'enlèvement de deux fillettes qui enclenche l'engrenage : le père de l'une d'entre elles — stupéfiant Hugh Jackman dans un de ses meilleurs rôles — se persuade que le coupable est un vieux garçon un peu attardé, malgré les dénégations du suspect et sa remise en liberté au terme de sa garde-à-vue. Il va donc le séquestrer et le torturer pour provoquer ses aveux. En parallèle, un flic désespérément solitaire et taciturne — Jake Gyllenhaal, empâté et tatoué, un peu au forcing dans un registre tourmenté — suit patiemment une autre piste, tentant de résister aux pressions qui l'entourent.

Les caves et le labyrinthe

Quelque part entre James Ellroy et Dennis Lehane, Prisoners retrouve la meilleure veine du genre noir en y ajoutant une dimension politique très troublante. Sans quitter des yeux son récit, prenant, émaillé de séquences dérangeantes et de morceaux de bravoure brillamment mis en scène, Villeneuve saisit quelque chose d'une corruption qui se généralise au fur et à mesure où l'émotion prend le pas sur la justice et la raison.

Personne, spectateur compris, ne sort indemne de cette descente au cœur des ténèbres, mais ce sont surtout les valeurs établies qui morflent le plus. À commencer par la religion, qui n'est ni un secours, ni un rempart ; au contraire, elle ne fait qu'attiser la violence alentour. Quant à la famille, d'abord idéalisée, elle finira par produire un envers monstrueux, déformé par le besoin de vengeance. Ainsi va Prisoners : ouvrir les caves des honnêtes gens, c'est aussi en respirer l'air putride, jusqu'à l'asphyxie.

Prisoners
De Denis Villeneuve (ÉU, 2h33) avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Paul Dano…


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