"Mort d'un cycliste", le franquisme dans la roue


Alors que le caudillo Franco tenait d'une main de fer le cinéma espagnol et ne laissait entrer que d'anodins divertissements américains sur les écrans, ils furent rares ceux qui tentèrent une critique, même masquée, du régime. Juan Antonio Bardem y parvint, et ce n'est pas pour rien qu'il fût ensuite célébré comme le plus grand réalisateur espagnol de la période.

Mort d'un cycliste, qu'il tourne en 1955, est son chef-d'œuvre ; il emprunte au film noir et au mélodrame dans son ton, à Welles et Hitchcock dans son esthétique, pour un résultat qui annonce avec cinq ans d'avance les premiers Chabrol ! L'épouse adultère d'un riche industriel renverse un cycliste un soir de promenade automobile avec son amant prof d'université et le laisse pour mort. Tandis que le professeur est pris dans un tourbillon de culpabilité, la grande bourgeoise se préoccupe surtout de sauver les apparences et sa situation.

Le noir et blanc superbe et inquiétant, digne des meilleurs Clouzot, et l'usage du grand angle pour créer des cadres expressionnistes et menaçants, donnent au film son climat de paranoïa, qui culmine lors d'une scène de repas où l'épouse doit faire face à un maître chanteur suant et répugnant. La lâcheté est partout dans Mort d'un cycliste, ce qui pourrait suffire à en pointer le courage politique ; mais en arrière-plan, Bardem désigne aussi la jeunesse de son pays comme une source d'espoir, prête à demander justice, étanche à la corruption ambiante.

Mort d'un cycliste
De Juan Antonio Bardem (1955, Esp, 1h28) avec Lucia Bosé, Alberto Closas…
Dans les salles du GRAC dans le cadre de Ciné-Collection, jusqu'au 4 novembre


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