M. sous le signe de W.

S'inscrivant dans l'univers littéraire de Virginia Woolf, Myriam Mechita présente à l'URDLA des œuvres fortes aux formes diverses, nouant quelques paradoxes existentiels fondamentaux : la violence et le désir, la vie et la mort, l'homme et l'animal... Jean-Emmanuel Denave


Ce sont, dans une estampe, de longues langues de feu léchant une maison en bois que l'on découvre au seuil de l'exposition de Myriam Mechita (née en 1974, installée à Berlin) à l'URDLA. C'est, plus loin, la langue dardée et comme pendue d'une inquiétante femme masquée qui se tend vers un ciel étoilé... La langue se répand dans l'exposition de Myriam Mechita comme s'y dépose celle, littéraire, de Virginia Woolf, figure tutélaire des œuvres présentées, l'URDLA éditant en parallèle sous le titre EnFin deux courts textes de l'écrivain anglaise traduits par Jacques Aubert et illustrés par Mechita. Comme souvent à l'URDLA, la littérature et le signe résonnent avec la plastique et les formes esthétiques. Le courant de conscience de Woolf s'instille parmi le courant de sensations des œuvres de Mechita, qui nous parlent tour à tour, ou concomittament, de désir, de mort, de violence, de beauté...

Paradoxes

Dans ses romans, Virginia Woolf traque des «moments d'être ou de non-être», des équivalents des épiphanies de Joyce, parmi ce monde obscur et quasi-insignifiant a priori, «noyé un peu au-dessous du temps». Parmi de «toutes petites choses, des déchets de l'existence, qui, paradoxalement, vous conjoignent à la vie à travers une phrase, une note de musique, en "vous prenant par la main"», comme l'écrit Jacques Aubert dans sa préface. Myriam Mechita poursuit cette logique à travers non pas des notes de musique ou des mots, mais des images, de grands dessins au crayon graphite, des livres-objets, de petites sculptures monstrueuses où l'être humain s'accouple à l'animal, où la mort tord et excave les visages... L'opposition-fusion entre l'image et l'écrit rejoint chez Mechita une opposition-fusion entre la vie et la mort, l'extase et l'agonie. Paradoxes dont l'artiste dit elle-même, à propos de dessins datant de 2010 (Agonie absolue) : «Une série de dessins représentant des femmes au moment du coït, bouche ouverte, aspirant ou soufflant, comme un chant perdu où le son n'a plus de direction. De cette bouche ouverte sort le juste son de l'amour, inaudible, en arrêt». Si l'art de Mechita fige un moment, arrête le temps, il ouvre à une complexité d'émotions paradoxalement liées, à des oppositions élevées à la puissance de l'image et de l'étrangeté de la forme.

Myriam Mechita, The blood and flesh of life
A l'URDLA, jusqu'au vendredi 15 novembre


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