Scarface, Cubain de vulgarité


En 1983, les utopies politiques des années 70 sont déjà loin ; la rutilance reaganienne et le mauvais goût triomphant s'installent durablement en Amérique. Brian De Palma, rescapé d'un Nouvel Hollywood dont il fût une figure atypique, bricolant des hommages maniéristes à son maître Hitchcock, se pique pourtant d'en offrir la critique la plus cinglante, faisant de la résistance bien planqué derrière les apparats de l'époque. Il s'empare donc d'un scénario signé de cette vieille baderne d'Oliver Stone, une transposition du Scarface de Hawks à Miami au moment où Fidel Castro vide ses geôles et répand sur le sol américain des criminels découvrant conjointement la Floride et la corruption généralisée du système.

Pour De Palma, tout devient prétexte à un étalage de vulgarité qui tient autant à la mode du moment qu'à un regard sarcastique sur un libéralisme sans frontière morale transformé en religion. Tony Montana (Al Pacino, génialement clownesque) est le héros ultime de ce carnaval d'arrogance blindée, un pauvre type que tout le monde traite de «plouc», qui s'avachit dans une montagne de coke avant de finir clamsé en passoire humaine dans sa piscine.

Le génie de De Palma, c'est de préserver l'élégance de sa mise en scène de ce torrent ininterrompu de bêtise. Au sommet de son art, il prend le temps de filmer les séquences avec des mouvements d'appareil dignes de Max Ophüls ou de Preminger. Le monde de Scarface vieillit, témoignage cauchemardesque d'une époque qui ne l'est pas moins ; le film, lui, est absolument éternel.

Christophe Chabert

Scarface
De Brian de Palma (1983, ÉU, 2h50) avec Al Pacino, Michelle Pfeiffer…
Au Cinéma Lumière, du 30 octobre au 5 novembre


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