Malavita

Pur fantasme d'un Luc Besson emballant à la va-vite des concepts de plus en plus boiteux, "Malavita" tente de greffer en Normandie la mythologie du film de mafia new-yorkais. Écrit n'importe comment, sans angle ni point de vue, cette comédie pas drôle sent le naufrage. Christophe Chabert


Un film d'animation pour enfants, une bio d'Aung San Suu Kyi, une comédie de mafia avec De Niro… La filmographie de Luc Besson prend des allures d'inventaire à la Prévert, alignant les versions premium des produits cheaps livrés par EuropaCorp, dont il assure lui-même la réalisation en y apposant un savoir-faire de moins en moins flagrant. Malavita, adapté d'un roman de Tonino Benacquista, portait pourtant en lui une belle promesse : celle de faire se rencontrer la mythologie phare du cinéma américain, celle des films de mafieux new-yorkais façon Scorsese, et la réalité de la France d'aujourd'hui.

On y voit ainsi une famille de repentis s'installer dans un bled paumé en Normandie et tenter d'y faire profil bas, même si le naturel revient toujours au galop. De tout cela, il ne sort qu'une médiocre comédie policière, nonchalante dans ses enjeux, incroyablement mal écrite, et où seuls les deux acteurs principaux (De Niro et Pfeiffer) réussissent à tirer leur épingle du jeu en ne cherchant ni à être des parodies de leurs personnages mythiques, ni des pantins au service d'un film opportuniste.

Dégénéré

Car Besson ne tire absolument rien de son argument, y compris ce qui paraissait le plus évident : le choc du langage, par exemple, est inexistant. Au lycée, tous les gamins normands parlent un anglais parfait, et les autres habitants se contentent de forcer leur accent français, ce qui est aussi grotesque qu'incohérent. Pas de conflit, pas de gag, rien du tout. Va-t-il se rattraper sur le choc culturel ? Pas plus… Au maximum, Malavita se contente de faire des Français des êtres rustres, méchants, sales, lâches et moches, au point de rendre particulièrement sympathique la famille de criminels endurcis et fière de l'être qui doit se coltiner ce peuple d'arriérés.

Par une décision surprenante — mais c'est peut-être juste de la flemme —, Besson a choisi de ne pas transposer l'époque où se passait le roman, ce qui ajoute une couche de ridicule à cette caricature déjà chargée : on paie encore en francs, on appelle depuis des cabines téléphoniques, on s'habille à la mode des années 90… Cela conduit même à une absolue idiotie, lorsque De Niro se retrouve à commenter au cours d'une séance de ciné-club Les Affranchis, présenté comme un classique — alors que le film, selon cette logique, n'avait même pas dix ans d'âge !

Ce passage en dit par ailleurs assez long sur l'absence de point de vue de Besson sur son matériau. Pour lui, le cinéma de Scorsese est comme une réalité documentaire dont il offrirait la version dégénérée et caricaturale, l'autorisant ainsi à en reproduire tous les clichés sans aucun état d'âme — le vieux boss emprisonné, les tueurs patibulaires…

Vite fait, mal fait

Surtout, Malavita sent régulièrement le bâclage. En atomisant la famille en autant de micro-intrigues ineptes, de l'amourette entre la fille et son prof au business monté par le fils auprès de ses camarades de classe, le film se présente comme un pilote de série télé avortée, dont on aurait écrit à la va-vite un climax spectaculaire pour en boucler la fin. Il faut voir par exemple comment la famille se fait «repérer» par ceux qui la traquent — une gazette scolaire qui voyage de la Normandie jusqu'à une prison américaine — pour juger du degré de boulot fourni par Besson.

On lui a souvent reproché de rédiger ses scripts à la vitesse d'un employé de fast-food fabriquant un hamburger — la fameuse parodie des Guignols ; avec Malavita, c'est comme s'il faisait tout pour leur donner raison. À l'heure actuelle, il est en train de filmer Scarlett Johansson dans une variante futuriste bourrée d'effets spéciaux de son Nikita. La vraie question étant : comment des comédiens pareils peuvent-ils se laisser abuser par une telle escroquerie ? 


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Facteur humain