On dirait l'Afrique du Sud

En trois pièces, la Maison de la Danse légitime un peu plus l'engouement général que suscite la création sud-africaine contemporaine. Retour sur la première, une création post-Apartheid de la compagnie Via Katlehong, et présentation de la deuxième, une relecture black et gay du "Lac des cygnes" par Dada Masilo. Benjamin Mialot


«Je considère comme gaspillée toute journée où je n'ai pas dansé», écrivit Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra. A voir leur dernière création, présentée en première mondiale à la Maison de la danse la semaine passée, les Sud-africains de Via Katlehong n'ont eux pas gâché une seule seconde depuis la fondation de leur compagnie au début des années 90.

Comédie musicale d'un brio inversement proportionnel à son budget, Via Sophiatown raconte l'histoire de la banlieue de Johannesburg du même nom, de l'insouciant hédonisme multi-culturel dans lequel elle a d'abord baigné à son blanchiment forcé. Un bouleversement dont la chorégraphie se fait l'écho : hilare, suggestive et émaillée de portés de rock acrobatique et de figures de breakdance, elle devient tendue, tellurique et emprunte de pratiques de rue contestataires, du gumboot (danse percussive se pratiquant avec des bottes de caoutchouc) à la pantsula (une sorte de hip hop épileptique). Ce n'est toutefois pas cette puissance évocatrice qui impressionne et émeut le plus dans Via Sophiatown, mais l'absolue générosité des forces de la nature qui l'interprètent. 

Black Swan 

Cette qualité, la troupe de Dada Masilo la partage. Deuxième invitée, un an après son triomphe à la Biennale de la danse, du cycle que consacre la Maison de la danse à la Nation arc-en-ciel jusqu'à la mi-novembre, cette jeune chorégraphe formée à l'école bruxelloise d'Anne Teresa de Keersmaecker solde l'héritage des années Mandela d'une manière plus radicale que ses compatriotes : en faisant du Lac des cygnes un manifeste contre la rigidité de la société sud-africaine (ici, c'est pour un homme que Siegfried se détourne du mariage qu'on lui impose).

Ce n'est pas la première fois que Dada se frotte à des mythes classiques – elle a déjà relu Roméo & Juliette et Carmen à travers le prisme de son iconoclasme - mais jamais elle n'avait poussé aussi loin le métissage : des spasmes zoulous répondent aux postures romantiques, les envolées orchestrales de Tchaïkovski aux minimalismes implacables de Steve Reich, la clarté des tutus à la noirceur des peaux, l'humour et la fantaisie à la douleur et à la gravité... Autant de frictions qui font de ce Swan Lake un monument de courage et d'humanité. «On voit à la démarche de chacun s'il a trouvé sa route. L'homme qui s'approche du but ne marche plus, il danse» a également écrit Nietzsche. Via Kathleong et Swan Lake laissent entendre que leurs auteurs sont sur la bonne voie.

Swan Lake
A la Maison de la danse, du mercredi 13 au dimanche 17 novembre


<< article précédent
L'autre côté du périph'